L’éclairage ne doit pas forcément être purement fonctionnel. De plus en plus de jeunes designers belges conçoivent des objets d’art lumineux. Le terme “sculptural” est à la mode dans le monde du design. Ces trois magnifiques objets belges en sont le parfait exemple.
Tournesol lumineux – Victoria Yakusha
Depuis 2014 et à travers sa marque de design FAINA, l’architecte-designer bruxelloise Victoria Yakusha rend hommage à l’esthétique de son pays natal: l’Ukraine. Ce n’est pas un hasard si elle s’est lancée en 2014, l’année où la Russie a envahi la Crimée et où il est apparu soudain que l’identité ukrainienne pourrait une nouvelle fois être oblitérée. “Cette lampe, la lampe Sonya, comme toutes mes créations, s’inspire fortement de la nature en Ukraine. C’est un tournesol, une plante importée à l’origine qui s’est depuis répandue dans le pays et connaît une forte popularité auprès de la population, non seulement pour sa beauté, mais aussi pour son intérêt économique: l’huile.”
“La lampe est fabriquée à partir d’une technique traditionnelle appelée valkuvannya, utilisée jadis pour construire des murs. L’argile est mélangée à de la paille et à d’autres matières, puis appliquée en plusieurs couches sur une structure tissée. J’ai affiné cette technique pour en faire ma propre technique ztista. Nous ajoutons du papier à l’argile et l’appliquons sur une construction particulière pour créer un objet design. Cinq couches sont nécessaires pour la lampe. Chaque fois, il faut attendre que la couche précédente soit sèche. J’ai aussi des créations qui nécessitent 15 couches.”
“La forme de la lampe à un aspect assez primitif. C’est propre à l’esprit ukrainien. Notre design révèle toujours un lien fort avec la nature. L’une de mes grandes sources d’inspiration est Maria Prymachenko. Maria n’a jamais quitté son village et ne s’est jamais inspirée que de la nature et de la terre. Son style de peinture était primitif, naïf. Je qualifie mon style de nouveau primitivisme. Je souligne encore le caractère épuré des formes primitives et les transforme en formes abstraites et minimalistes.”
“Mes lampes et autres créations ne se contentent pas de s’inspirer de l’artisanat ukrainien, elles sont aussi fabriquées à la main en Ukraine. C’est essentiel pour moi. J’ai toutefois dû déplacer mes ouvriers de la périphérie de Kiev vers l’ouest du pays. Je reste en contact étroit avec eux.”
“Tous mes designs font référence à un symbole ukrainien. Par exemple, j’ai conçu des vases en forme de bandura, un instrument de musique traditionnel dont jouaient principalement les troubadours aveugles. Ils diffusaient la culture ukrainienne, ce qui ne plaisait pas aux occupants russes. Ils étaient donc souvent arrêtés. En fait, je suis architecte de formation. Faina est une réflexion artistique sur la culture de mon pays. L’intention à la base n’était absolument pas d’en faire un business. La mission, la préservation de la culture ukrainienne, reste ma plus grande priorité.”
www.faina.design
Le phare de Copenhague – Axelle Vertommen
La jeune Anversoise Axelle Vertommen est l’une des coqueluches de la scène du design belge. La raison? Ses couleurs Memphis qu’elle décline sur les lampes, les tapis et même les griffoirs pour chat. “En début d’année, le magasin gantois Surplus m’a demandé de concevoir un objet design pour sa participation au Design Fest Gent. Ils m’ont permis de fouiner dans leurs archives. J’y ai découvert des éléments des célèbres chaises papillon d’Arne Jacobsen. Je voulais sortir la chaise de son contexte et ne pas en refaire un siège. Après un long processus de croquis, j’ai remarqué que si l’on place une lampe sur l’assise, l’ensemble fait penser à une coquille d’huître et à sa perle.”

En poursuivant mes recherches, je suis tombée sur des images d’une plage de Copenhague appelée Bellevue Beach, entièrement conçue par Arne Jacobsen, du phare aux sièges. La forme et les rayures colorées du phare m’ont inspirée pour créer le pied de la lampe. Ce qui a donné pour résultat une lampe assez sculpturale. C’est un objet imposant de 2,3 mètres. La chaise Papillon s’intègre ainsi dans un ensemble plutôt robuste, alors qu’elle est connue pour son élégance. La vue que l’on a de cet objet épuré en bois est aussi en contre-plongée, ce qui donne un effet étrange.”
“Je suis attirée par les formes basiques et je m’inspire principalement de l’architecture. Les magnifiques formes monumentales de Carlo Scarpa en sont un bon exemple. Il me semble intéressant de ne pas prendre le design comme point de départ. La transposition de l’architecture au design peut faire émerger de nouvelles perspectives intéressantes.”
“Mon design est un design de couleurs. Mon travail se rapproche du mouvement Memphis et je travaille aussi avec Dries Otten, un architecte d’intérieur connu pour son utilisation de la couleur. Je commence pourtant par examiner quelle fonction chaque couleur en particulier peut avoir. Il ne s’agit pas de choisir les couleurs pour leur simple aspect décoratif ou de les choisir au hasard. Dans ce cas, le choix des couleurs est guidé par la narration.”
“Contrairement à mes autres luminaires, celui-ci est une pièce unique. Il se trouve actuellement dans un loft à Gand et sera ensuite transféré dans une maison de vacances en France. Le propriétaire collectionne les lampes design. J’imagine que c’est le côté étrange du luminaire qui l’a attiré. Cela correspond à mon approche: créer quelque chose qui soit un peu hors du commun. Par exemple, j’ai conçu des griffoirs esthétiques et une série de lampes que l’on peut également accrocher dans le coin d’une pièce (Brion). Pour le Brussels Design September, j’ai conçu un pouf qui, loin du cliché, peut être partiellement placé contre un mur, qui servira ainsi de dossier.”
www.axellevertommen.be
La lumière de l’espace – Amber Dewaele
Dans la nouvelle fournée de designers belges, Amber Dewaele se distingue. Cette designer brugeoise qui vit et travaille à Anvers a une esthétique particulière, elle fait totalement l’impasse sur les couleurs naturelles tendres. “Pour cette série de lampes, j’ai pris pour point de départ des effets atmosphériques et optiques naturels, comme l’arc-en-ciel ou le coucher de soleil. L’applique murale Sunset parle d’elle-même. Light Pillar est une lampe sculpturale verticale qui évoque la colonne lumineuse, ce phénomène qui apparaît, par exemple, quand la lumière d’un lampadaire est réfléchie par des cristaux de glace présents dans l’atmosphère, créant une sorte de faisceau lumineux en forme de colonne. La troisième de la série est la lampe de table Corona, en référence à la couronne qui apparaît parfois autour du soleil et de la lune par temps nuageux.”

“J’utilise principalement des matériaux tels que l’acier, le plastique et le verre auxquels je fais subir différents traitements. Pour la Sunset, j’ai utilisé du plexiglas orange et une pièce horizontale d’inox poli. Elle sert à reproduire la réflexion du soleil dans la mer, ce que nous associons souvent au coucher de soleil. Selon l’angle de vue, la réflexion est différente et l’objet lumineux change donc également d’aspect.”
“Mon mouvement de design préféré est celui du space age, celui des designeurs comme Eileen Gray. Mon langage esthétique est un clin d’oeil à ce mouvement. En fait, j’aime tout ce qui brille: un peu comme une pie. D’autre part, je suis tout à fait fascinée par la nature et ses phénomènes. Souvent, les designers traduisent cet amour par des tons naturels tendres. Pour moi, il y a un côté un peu trop scandinave. Les tons neutres reviennent à la mode et j’essaie donc d’inviter un peu plus de vivacité dans le lieu de vie. Je donne la parole à mon enfant intérieur. Mes créations reflètent non seulement la lumière, mais aussi ma personnalité. Je suis quelqu’un de présent.”
“Autant j’aime les objets brillants, autant je trouve important de préserver la sobriété du design, et ce au sens large du terme: je conçois tant la forme que la technique avec une certaine simplicité. Par exemple, mes lampes sont faciles à transporter et à installer. Rien n’est soudé ou collé, et mes conceptions sont donc faciles à démonter dans le cas où un élément se casse.”
“En fait, ces luminaires font partie du projet de fin d’études que j’ai présenté au VOMO, à Malines, l’année dernière. J’ai eu envie de travailler la lumière, car c’est elle qui détermine l’atmosphère d’une pièce. Avant cela, j’avais étudié le design de produits, une orientation qui met également en avant la technologie du design. L’éclairage réunit ma fascination pour les sciences exactes et pour l’esthétique.”
www.amberdewaele.com