Combien de talents restent sur la touche ? Un nouveau rapport de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes montre que les femmes restent encore souvent confinées dans des emplois précarisants en raison de barrières structurelles. La professeure Anja Van den Broeck (KU Leuven) élargit le débat : elle explique comment la motivation s’avère essentielle dans l’épanouissement des travailleuses, et donc des organisations.
Les femmes sont encore trop souvent sous-représentées ou sous-valorisées sur le marché du travail. Le dernier rapport de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IGVM, voir encadré) expose comment des barrières structurelles, allant d’une répartition inégale des tâches domestiques à des stéréotypes persistants, poussent les femmes vers des emplois précaires, voire les excluent complètement du marché du travail. Une occasion manquée pour les employeurs, l’inclusion et la diversité favorisant la satisfaction des employés, renforçant leur fidélisation et apportant également des avantages économiques aux entreprises. Parallèlement, une équipe diversifiée favorise la créativité, la flexibilité et une meilleure intégration sociale. Ce qui se traduit par une clientèle élargie, des solutions plus innovantes et de meilleurs résultats. L’inclusion ne représente donc pas un coût, mais bien un investissement rentable, tant sur le plan social qu’économique.

Selon Anja Van den Broeck (KU Leuven), spécialisée en motivation au travail, la diversité ne révèle tout son potentiel que si les organisations instaurent également des conditions favorables à la motivation. « La motivation n’est pas un luxe. C’est un carburant. Et sans carburant, tout s’arrête », affirme-t-elle.
Un travail porteur de sens comme moteur
Où situez-vous le décalage majeur entre les besoins des employés et ce que proposent les employeurs ?
Anja Van den Broeck : « Dans le sens au travail. Cette notion peut sembler abstraite, mais c’est une nécessité absolue. Les gens veulent savoir : pourquoi accomplir telle tâche ? Lorsque vous remplissez une énième page Excel que personne, pensez-vous, ne lira jamais, votre motivation s’effrite. Cette situation peut tout aussi bien se rencontrer dans le secteur des soins ou du nettoyage : les personnes qui accomplissent jour après jour des tâches sans la moindre reconnaissance ou sans avoir les moyens de réaliser correctement leur travail se sentent rapidement inutiles. Ceci peut conduire à des arrêts de travail, des troubles de santé ou une rupture de contrat. »
En quoi cela touche-t-il particulièrement les femmes ?
« Principalement parce que beaucoup de femmes supportent encore une double charge. Elles ont un emploi et assument la majeure partie des tâches domestiques. Lorsqu’elles passent deux heures dans une réunion qui ne mène à rien, elles ont le sentiment que le temps leur échappe. Cela se fait au détriment de leur famille, de leur tranquillité et de leur bien-être. Une source de frustration énorme. Un travail qui a du sens se traduit par des tâches qui en ont un, non seulement pour l’organisation, mais aussi pour la société et pour elles-mêmes.
Autonomie et flexibilité font la différence
Comment les employeurs peuvent-ils stimuler la motivation et l’engagement ?
« En donnant plus d’autonomie aux employés. C’est l’un des meilleurs indicateurs de motivation et de bien-être. Et non, cela ne signifie pas d’agir comme on le veut. Mais plutôt de permettre le choix dans le cadre d’accords définis. Par exemple, décider des horaires, comment aborder une tâche, ou comment concilier vie professionnelle et vie privée. Ces choix rendent le travail plus supportable et plus durable. »
Flexibilité rime souvent avec télétravail. N’est-ce pas un raccourci ?
« Absolument. Le télétravail fonctionne très bien pour certaines personnes, pour d’autres, pas du tout. Et pour des tâches ou dans des secteurs bien précis, le télétravail est tout simplement inenvisageable en raison de la nature du métier. Une véritable flexibilité implique de la diversité : horaires flexibles, choix des jours de congé, adaptation temporaire des tâches à la suite de problèmes de santé. De telles solutions permettent aux femmes (et aux hommes) de mieux concilier vie privée et professionnelle. C’est non seulement bénéfique pour l’employé, mais aussi pour la rétention. Les employés restent plus longtemps en ayant le sentiment que leur réalité est prise en compte. »
Parfois, la flexibilité mène à une disponibilité constante.
« Là se situe le piège. La liberté n’est pas la liberté si l’on doit être disponible 24h/24 et 7j/7. Le télétravail agit tel un boomerang. Se déconnecter sans culpabiliser est pourtant crucial. Les employeurs doivent activement soutenir cette démarche. »
Les moments charnières déterminent qui reste
Vous parlez de « moments charnières » dans chaque carrière. Qu’entendez-vous par là ?
« Ce sont des moments où les gens décident : je reste ou je pars. Souvent, lors d’événements importants : congé maternité, prise en charge d’un proche, maladie. Dans de telles situations, les personnes n’ont pas forcément besoin d’un travail moins lourd mais plutôt de soutien et de compréhension. Si elles essuient constamment des refus, elles pensent rapidement : je ne suis qu’un numéro, pas un être humain. Et elles partent. »
Quel en est le coût pour l’employeur ?
« Élevé. Il faut tenir compte des frais de recrutement, de la perte des talents, de la baisse du moral au sein des équipes. Alors que de petits aménagements tels que l’allègement temporaire des tâches, l’augmentation progressive des heures de travail, l’aide d’un collègue… peuvent faire une énorme différence. Là réside la force d’une politique RH inclusive : les collaborateurs peuvent continuer à participer, même lorsque les choses deviennent difficiles. »
Les stéréotypes excluent les talents
Vous évoquez également les stéréotypes comme étant un obstacle.
« L’image du « candidat idéal » demeure tenace : à temps plein, sans interruption dans le CV, immédiatement disponible. Ce qui exclut beaucoup de femmes, celles qui ont travaillé à temps partiel pour s’occuper de leur famille ou ont un parcours professionnel atypique. Sans oublier les auto-stéréotypes bien ancrés : les femmes qui pensent que ce n’est pas pour elles et qui s’empêchent de postuler. En tant qu’employeur, vous passez à côté d’un vrai potentiel. »
Comment améliorer le recrutement ?
« Recrutez en fonction du potentiel et de l’attitude. Les compétences s’acquièrent, mais la motivation, les valeurs et la capacité d’apprentissage sont davantage fondamentales. De plus, il est important que les employés se sentent en sécurité dans votre organisation. Une culture où chacun peut exprimer ouvertement ses besoins ou ses défis, sans jugement, se révèle essentielle. Sans ce sentiment de sécurité, il n’y a pas d’employabilité durable. »
La motivation est un levier pour tout le monde
Quel est votre message principal aux employeurs ?
« La motivation n’est pas un luxe. C’est un carburant. Vous pouvez optimiser les processus et les systèmes dans les moindres détails, sans motivation, tout s’arrête. Les performances, la créativité, la loyauté : tout cela s’éteint si les gens ne se sentent pas considérés. Et ce n’est pas seulement une perte pour les femmes. Il s’agit d’une perte pour tout le monde : les employés, les employeurs et la société. »
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Lire le rapport complet
Le rapport « Les femmes en situation de vulnérabilité sur le marché du travail » met en lumière les différents facteurs qui rendent les femmes davantage vulnérables sur le marché du travail : obstacles structurels, poids des stéréotypes et manque de conditions de travail durables. Mais il ne s’arrête pas au constat : il propose aussi aux employeurs des recommandations concrètes pour transformer ces défis en opportunités d’inclusion. Le rapport complet de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, comprenant les principales conclusions et recommandations, est disponible ici.