Pierre-Henri Thomas

Wall Street, le seul contrepouvoir face à Donald Trump

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Il est difficile aujourd’hui de cataloguer encore sans commentaire les États-Unis dans le clan des démocraties libérales. Toutes les décisions du clan qui a pris le pouvoir à la Maison Blanche feraient retourner dans sa tombe Montesquieu, le chantre de la séparation des pouvoirs.

Nous avons un exécutif qui a pris désormais le contrôle du législatif – il suffit pour s’en rendre compte de voir comment les quelques parlementaires républicains hostiles aux nominations de personnes aussi sulfureuses que la pro-russe Tulsi Gabbard, la nouvelle directrice du renseignement américain, ou de Pete Hegseth, ancien animateur de Fox News hostile à l’Ukraine et nouveau secrétaire à la Défense, ont été mis sous pression pour voter malgré eux ces nominations. Et la justice est elle aussi aux ordres.  Dans un bel ensemble, Donald Trump, Elon Musk et d’autres membres du gouvernement américain ont dit que les juges ne pouvaient pas dicter au Président ce qu’il pouvait faire. Message reçu avec la décision extraordinaire de la Cour Suprême des États-Unis qui désormais procure une immunité quasi-totale à Donald Trump tant qu’il est président, malgré les événements du 6 janvier 2020 qui s’apparentaient quand même à un coup d’état. Certes, des juges démocrates tentent actuellement de briser certaines décisions, mais finalement, une bonne partie des dossiers seront soit enterrés, soit portés devant la Cour Suprême.

Effondrement démocratique

La première version de Trump, entre 2016 et 2020, avait déjà fait des dégâts : les États-Unis ne peuvent plus se targuer d’être le pays de la liberté. L’indice de liberté de Freedom House, l’ONG fondée notamment par Eleanor Roosevelt et historiquement proche de la ligue anti-communiste mondiale (on ne parle donc pas d’une ONG de gauche) classe désormais, avec un score de seulement 83 sur 100,  les USA au même rang que la Roumanie et bien en dessous de nos pays, du Japon et du Canada qui dépassent tous les 95 sur 100.  Mais l’entrée en fonction de la nouvelle administration Trump devrait encore faire baisser notablement le pays dans le classement, si le classement existe encore, car il y a fort à parier que Freedom House doive fermer ses portes suite aux décisions d’Elon Musk de couper dans le budget de tout ce qui n’est pas MAGA (Make America Great Again).

Bálint Madlovics et Bálint Magyar, deux universitaires hongrois qui se sont penchés sur les régimes autocrates du bloc de l’Est, avant de se tourner vers les États-Unis de Trump, estiment, dans un article de Foreign Policy, que les verrous ont sauté. Le Trump version 2, qui songe d’ailleurs déjà à un troisième mandat, ce qui est anticonstitutionnel, n’est pas celui de la version 1, disent-ils : « La démocratie a survécu au premier mandat de Trump parce qu’il n’avait ni expérience, ni plan, ni équipe. Il ne contrôlait pas le Parti républicain lorsqu’il a pris ses fonctions en 2017, et la plupart des leaders républicains étaient encore engagés dans les règles démocratiques du jeu. (…) Cette fois, Trump a clairement fait savoir qu’il entendait gouverner avec des loyalistes. Il domine maintenant le Parti républicain, qui, purgé de ses forces anti-Trump, acquiesce désormais à son comportement autoritaire ». Et les deux chercheurs ajoutent : « La démocratie américaine risque probablement de s’effondrer pendant la seconde administration Trump, au sens où elle cessera de répondre aux critères standard de la démocratie libérale : suffrage universel adulte, élections libres et équitables, et protection large des libertés civiles ».

Ce que Montesquieu ne connaissait pas

Face à une opposition étonnamment passive et encore sonnée, les contrepouvoirs paraissent bien faibles. Sauf un, que Montesquieu ne connaissait pas : Wall Street.

Les entreprises américaines, mais surtout les grandes entreprises cotées en Bourse, sont dépendantes du marché mondial et de la chaîne de valeur globale. Et elles paraissent être les seules à pouvoir refreiner les ardeurs autocratiques – certains diront même mafieuses (il suffit de voir comment les États-Unis rackettent actuellement  l’Ukraine pour mettre la main sur ses ressources naturelles) – du clan actuellement au pouvoir à la Maison Blanche.

Ce dont a besoin Donald Trump pour se maintenir au pouvoir est de gagner dans deux ans les élections du midterm, sous peine de perdre la majorité au Congrès. Et pour cela, il doit pouvoir montrer un bulletin économique propre à rassurer son clan. Cela signifie, en gros, une maîtrise du prix du baril – d’où le « drill, baby, drill »- et un indice S&P 500 en hausse. On sait que les ménages américains, même modestes, sont très sensibles à l’effet de richesse que leur procure l’évolution de leur portefeuille boursier. Or, dans un monde déglobalisé et soumis à une guerre commerciale, la valeur boursière des entreprises américaines risque d’en prendre un coup, et cela sera difficilement supportable.

Donald Trump a déjà fait marche arrière et a retiré ses menaces à l’encontre du Canada pour une raison bien simple : les États-Unis sont encore dépendants partiellement du pétrole canadien, en tout cas pour maintenir un prix du gallon suffisamment bas. Une guerre commerciale avec Ottawa aurait provoqué une hausse des prix pétroliers, et mécontenté les entreprises et les électeurs.

Wall Street déchante

Mais face à l’incertitude actuelle, Wall Street, qui avait soutenu l’élection de Donald Trump, semble déjà déchanter. Les prédictions optimistes, notamment en ce qui concerne les opérations de fusions et acquisitions, et les espoirs de bénéficier d’une administration très favorable aux grandes firmes, ne se sont pas réalisées. Du moins pas encore. Les niches fiscales dont bénéficient les hedge funds paraissent même menacées. Et les banquiers d’affaires ont enregistré en ce mois de janvier le nombre le plus bas d’annonces de fusions et acquisitions depuis plus de dix ans.

Si Wall Street peut servir de garde-fou, ce n’est évidemment pas dans le développement d’une économie durable, décarbonée, et respectueuse de l’environnement. Mais c’est en évitant l’emballement d’une guerre douanière, et en incitant quand même les autorités américaines à respecter le pouvoir d’achat des Américains et la volonté de conserver des relations commerciales avec les principaux partenaires économiques du pays. On est loin du « doux commerce » et de la séparation des pouvoirs prônés par Montesquieu. Mais ce serait déjà ça.

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