Philippe Ledent
Surprenante consommation
Lorsque des chocs importants se produisent, leurs effets macroéconomiques sont forcément plus marqués, ce qui est intéressant du point de vue de l’analyse économique: tout devient plus clair ou… plus étonnant. Jugez plutôt.
En temps normal, les chocs impactant l’économie sont plutôt faibles. Ils n’ont donc qu’un effet limité sur les principales variables économiques. Il est alors difficile de savoir si ce que l’on observe en matière d’activité, d’inflation ou d’emploi, par exemple, est bel et bien la conséquence du choc – ce qui valide ou non une théorie ou le résultat d’un modèle – ou s’il s’agit de la volatilité habituelle de la variable.
Par contre, lorsque des chocs importants se produisent, leurs effets macroéconomiques sont forcément plus marqués, ce qui est intéressant du point de vue de l’analyse économique: tout devient plus clair ou… plus étonnant. Jugez plutôt.
Il y a près de deux ans,en raison de la réouverture progressive d’une partie de l’économie mondiale, des pénuries de matières premières et de composants sont apparues, poussant à la hausse les prix à la consommation. Après le début de la guerre en Ukraine et la brutale diminution des flux de gaz russe vers l’Europe, le déséquilibre du marché du gaz faisait naître le risque d’une pénurie à l’hiver 2022-2023. L’inflation poursuivait alors sa fulgurante ascension, poussée par les prix de l’énergie.
Le choc n’a pas été aussi dur que l’on pouvait le craindre.
En septembre 2022, c’est le choc! Les prix du gaz et de l’électricité ont atteint des sommets durant l’été, les factures et acomptes sont fortement révisés à la hausse et la confiance des consommateurs belges tombe à son plus bas niveau historique. Des entreprises prévoient aussi de fermer leurs portes. On pouvait légitimement penser que l’économie belge allait tout droit vers la récession.
Avec le recul, l’histoire semble plus nuancée. D’une part, les efforts menés pour réduire la consommation de gaz et pour trouver des alternatives au gaz russe ont payé, puisque le prix de cette ressource n’a cessé de baisser depuis l’automne 2022. Le choc n’a donc pas été aussi dur que l’on pouvait le craindre. D’autre part, l’indexation automatique des revenus s’est avérée un mécanisme de soutien énorme pour les ménages.
D’autant plus que, depuis, une étude a montré que le choc n’était manifestement pas aussi fort que l’indice des prix ne le mesurait. Il y a donc eu une sorte de sur-indexation.
L’évolution des données macroéconomiques au cours des derniers trimestres est saisissante: mis à part un petit coup de mou au dernier trimestre de 2022, l’activité économique est restée relativement dynamique durant ces 12 derniers mois. Plus fort encore, la consommation des ménages a progressé, en termes réels, de 3,3% entre les premiers trimestres de 2022 et 2023.
Ce chiffre est à comparer à une moyenne historique de croissance de l’ordre de 1,5% par an! Même au cœur de la tempête, au quatrième trimestre de 2022, alors que la confiance était au plus bas, la consommation des ménages a progressé de 0,9%!
En conclusion, comme on pouvait s’y attendre, des chocs exceptionnels ont entraîné des évolutions exceptionnelles des variables économiques. Mais si l’on en croit les chiffres des 12 derniers mois, ces évolutions sont aussi contre-intuitives. A tout le moins, elles représentent d’intéressantes questions de recherches: compte tenu de l’indexation automatique de la plupart des revenus en Belgique, était-il opportun de mettre en place autant de mesures de soutien aux ménages? Ne fallait-il pas limiter les aides en les ciblant davantage sur ceux et celles qui en avaient le plus besoin?
Mais surtout, si l’indexation automatique des revenus a ici montré tout son intérêt pour la préservation du pouvoir d’achat des ménages, quel en sera l’impact sur la compétitivité et la dynamique de l’emploi dans la phase de reprise? Car là aussi les évolutions sont exceptionnelles et les écarts entre les pays potentiellement importants.
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