Mais bon sang, laissez donc rouler le camion d’Odoo !

Fabien Pinckaers, CEO d'Odoo.
Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Il y a depuis quelques jours un débat surréaliste affligeant qui anime les travées du parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Odoo, notre licorne wallonne, dont la valorisation atteint les 3,5 milliards d’euros aujourd’hui, a financé un joli semi-remorque, baptisé le « LabOdoo » pour expliquer ce qu’est une entreprise. « L’expérience dure 90 minutes durant lesquelles un groupe de max 27 étudiants vont faire 4 ateliers pour comprendre le fonctionnement d’une entreprise », explique Fabien Pinckaers, patron et fondateur d’Odoo. Canal Z en avait d’ailleurs parlé voici quelques mois.

Est-ce normal ?

« Le service aux professeurs est incroyable; on se déplace dans l’établissement, c’est 100% gratuit, nos coaches assurent la préparation et le suivi du cours avec le professeur en charge.  Et le plus important; le retour des élèves est juste génial », ajoute Fabien Pinckaers sur LinkedIn.

Mais voilà, des esprits chagrins, qui voient toujours les patrons comme des profiteurs horribles et l’entreprise comme un charbonnage où l’épanouissement personnel est banni, vitupèrent depuis quelques jours contre cette intolérable incursion du privé à l’école.

 « Est-il normal, s’insurge le député Jean-Pierre Kerckhofs (PTB) au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qu’une entreprise privée fasse sa propre publicité dans une enceinte scolaire? (…)  À travers cette entreprise, c’est aussi un certain esprit qui est véhiculé, un esprit d’entreprise en l’occurrence, mais un esprit d’entreprise  privée.  Or  l’école  a  une  mission  d’éducation  citoyenne.  Elle  se  doit  d’éduquer aux valeurs démocratiques et à la recherche de l’intérêt collectif. Elle ne peut pas épouser un point de vue mercantiliste ». Et Jean-Pierre Kerckhofs de poursuivre : « Au-delà des intérêts propres à une entreprise, c’est le néolibéralisme et le fonctionnement typique du capitalisme qui sont ici inculqués, sans le moindre regard critique sur ses dérives, qu’elles soient environnementales ou sociales ».

Un camion qui « interpelle »

« Je dois bien reconnaître, répond la ministre Caroline Désir (PS), qu’il s’agit d’une situation interpellante à plus d’un titre, d’abord du fait de la présence de cette entreprise au sein de certaines écoles, eu égard aux prescrits de l’article 1.7.3-3 du Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire, qui y interdit toute activité commerciale,  ensuite  eu  égard  à  la  manière  dont  les  contenus  d’apprentissage  seraient dispensés aux élèves par des employés de cette entreprise plutôt que par des enseignants. Ces deux seules interrogations ont suffi pour que je saisisse la commission créée par  l’article  1.7.3-4  du  Code  pour  qu’elle  rende  un  avis  sur  ces  pratiques. »

On en est là. Un camion expliquant, à la demande des enseignants, ce qu’est une entreprise est vu comme un danger dans une Fédération Wallonie-Bruxelles où, faut-il le rappeler, le taux de chômage est trois à quatre fois plus élevé qu’en Flandre.

Eh bien, parlons de ce qui est normal et de ce qui ne l’est pas. Est-il normal de fustiger une tentative d’apprentissage dynamique alors que les élèves francophones sont sous la moyenne des pays de l’OCDE en lecture et bien en dessous des résultats des élèves germanophones et des flamands en mathématiques ? Est-il normal d’avoir un tel différentiel entre « bons » et « mauvais » élèves dans les écoles de la fédération ? Est-il normal qu’une entreprise comme Odoo ne trouve pas de jeunes qualifiés dans la région ? Est-il normal de refuser d’expliquer à des jeunes comment fonctionne une entreprise, que l’on peut y créer des choses, y prendre plaisir, à condition d’avoir un certain bagage ? Et dans un monde qui a besoin d’innovation comme de pain pour affronter les divers défis qui nous font face, est-il normal de laisser les jeunes déconnectés de la vie réelle dans laquelle ils entreront après leurs études ?

Un marketing débile

Alors, plutôt que d’en référer «   aux prescrits de l’article 1.7.3-3 du Code de l’enseignement », nous conseillerions à la ministre Désir de laisser rouler le bus d’Odoo. Et peut-être de voir si John Cockerill ou d’autres entreprises phares de la région ne désirent pas, elles aussi, mettre des labo-bus pédagogiques à destination des écoles qui en feraient le souhait. Et on peut rassurer la ministre : il n’y a aucune chance qu’après ces ateliers, les élèves se précipitent chez John Cockerill pour acheter un électrolyseur géant ou souscrire à une suite payante d’Odoo. Mais on est d’accord sur une chose avec Jean-Pierre Kerckhofs : l’école se  doit  d’éduquer aux valeurs démocratiques (c’est-à-dire combattre toute dictature, du prolétariat ou autre) et à la recherche de l’intérêt collectif. Et celui -ci consiste, entre autres, à comprendre le monde dans lequel on vit afin de s’y épanouir au mieux.

Ah oui, « one more thing ». Si Odoo avait voulu faire une campagne de pub, elle n’aurait pas pris un camion. « Ce projet est un investissement d’un million d’euros! Pour 4.000 euros, on peut avoir un panneau publicitaire de 20m² sur une nationale avec 13.000 voitures/jour pendant un an. Un million d’euros pour mettre un gros logo Odoo sur un camion qui va dans les écoles serait l’initiative marketing la plus débile de l’histoire de Odoo », souligne Fabien Pinckaers.

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