Paul Vacca

Le disco, le meilleur antidote à notre triste individualisme contemporain ?

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

On le résume souvent à quelques déhanchés travoltiens sur le dancefloor, aux voix de falsetto des Bee Gees, à des pantalons pattes d’éléphant ou à des strass sous la boule à facettes d’un club enfumé. Or, sous les paillettes, le disco est aussi le manifeste d’une époque : celui d’un mouvement culturel qui, des années 1970 à 1990, a agité la planète entière, et dont on ressent encore les secousses aujourd’hui.

Dans “Disco – I’m coming out”, publié par les Éditions de La Martinière en écho à l’exposition qui se tient actuellement à la Philharmonie de Paris, le journaliste Patrick Thévenin orchestre un ouvrage collectif qui restitue toute la richesse de ce genre musical né dans les marges avant de conquérir la planète. À travers des récits et des visuels hauts en couleurs, toutes les facettes de cette éblouissante épopée culturelle nous sont livrées.

On y découvre d’abord sa naissance dans les années 1970 comme musique de résistance dans les clubs new-yorkais fréquentés alors par des communautés afro-américaines, latines et queer. L’émergence d’un mouvement d’affirmation et de liberté façonné par les personnes qui sont encore invisibles. Le disco, ce n’est pas seulement un son, c’est une scène, politique et sociale, où la piste de danse devient un espace d’utopie et de révolution comme dans les nouveaux temples que sont The Loft de David Mancuso ou le Paradise Garage de Larry Levan.

On y voit aussi comment, au diapason de la révolution sexuelle, danser devient le langage de l’affirmation de soi, incarné par des icônes comme Donna Summer ou Gloria Gaynor avec de titres qui sont autant d’hymnes identitaires : I’m coming out par Diana Ross, I am what I am par Gloria Gaynor ou You make me feel par Sylvester.

On découvre encore une nouvelle figure de la culture pop qui fait alors son entrée en scène : le DJ. Passant de l’ombre à la lumière, il officie tel un prêtre derrière ses platines électrisant de ses mix et remix la foule ondulante. Il devient tout-puissant : par son seul charisme, à New York, Never Can Say Goodbye de Gloria Gaynor s’arrache à 20.000 exemplaires par semaine alors qu’aucune station de radio ne le diffuse.

A l’ombre des boules à facettes, la part sombre du disco

Le club devient aussi un laboratoire esthétique d’une tornade marketing mondiale. Le disco s’invite – de gré ou de force – dans tous les foyers : tout est désormais disco. Le livre et l’exposition mettent en lumière toutes les success stories du Studio 54 à New York au Palace à Paris, de Cerrone (et son inoxydable Supernature) à la comète blonde Patrick Juvet, de Chic à Village People, du sorcier du son électronique Giorgio Moroder au tsunami Saturday Night Fever, ainsi que toutes les révolutions technologiques comme le sound system, la scénographie, les maxi 45 tours ou le disco beat qui ont pavé la voie à la house et à la techno.

Peut-être le disco, avec sa pulsation collective et sa flamboyance festive, est-il plus que jamais le meilleur antidote à notre triste individualisme contemporain.

Mais le livre explore aussi, à l’ombre des boules à facettes, la part sombre du disco : son acte de décès le 12 juillet 1979, lors de la “Disco Demolition Night”, un happening anti-disco où 50.000 personnes se sont rassemblées pour un autodafé de disques dans un stade à Chicago aux cris de “Disco sucks !”. Le prélude à une lente agonie du mouvement, frappé par l’épidémie du sida qui touche de plein fouet les communautés qui l’avaient fait vivre.

Pour autant, l’esprit du disco, lui, n’est pas mort. Il revient aujourd’hui par vagues ininterrompues : samplé, réinterprété et ressuscité par Daft Punk, Beyoncé, Dua Lipa ou The Weeknd. Comme une sorte de paradis perdu. Car peut-être le disco, avec sa pulsation collective et sa flamboyance festive, est-il plus que jamais le meilleur antidote à notre triste individualisme contemporain.

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