La transition énergétique cherche encore son Churchill

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Pierre-Henri Thomas
Pierre-Henri Thomas Journaliste

Puisque la transition sera douloureuse, autant la commencer rapidement et la rendre la moins pénible possible.

Pour son congrès wallon, le week-end dernier, Ecolo avait invité à Liège l’économiste américain Mark Jacobson, qui se fait connaître depuis une quinzaine d’années par des études montrant que le passage à une énergie intégralement renouvelable est possible, rapidement et sans douleur. Un mix énergétique éolien, hydraulique et solaire, assaisonné d’un zeste d’hydrogène, permettrait de passer au tout électrique et de faire tourner l’activité de la plupart des économies en se passant même, luxe suprême, du nucléaire. Cela serait réalisable en sept ans et créerait en net 28 millions d’emplois dans le monde. “Le 100% renouvelable est possible et rentable d’ici 2030, dit-il sur le site de Trends-Tendances. Il ne manque que la volonté politique.”

Il faudrait rappeler à certains que l’économie est la science qui permet de gérer la rareté, non la religion qui multiplie les petits pains.

On voudrait y croire. Mais dans le monde réel, personne n’a jamais réussi un tel exploit. Entre 1990 et aujourd’hui, l’Union européenne, pourtant en pointe dans le domaine de la décarbonation, a réduit de 30% environ ses émissions de CO2 par rapport à leur niveau de 1990. Et nous ferions le reste en sept ans? Et le reste du monde aussi? Imaginons. Pour réaliser cet objectif, il faudrait développer au pas de charge des capacités de production d’éoliennes et de panneaux solaires, de batteries, de véhicules et machines électriques et autres capacités de stockage. Il faudrait octroyer des dizaines de milliers de permis, bâtir un réseau électrique permettant de relier tous ces micro-producteurs d’électricité. Cela nécessiterait de multiplier par 10 ou 20 la production de lithium, cuivre, cobalt, terres rares. La demande en capitaux serait gigantesque, propulsant les taux d’intérêt au firmament. Tout cela finirait dans une belle implosion.

D’ailleurs, les travaux de Mark Jacobson ont été descendus en flammes par plusieurs dizaines de chercheurs qui relèvent des erreurs de modélisation, des spéculations hasardeuses, des hypothèses non étayées, “notamment un coût du capital inférieur à celui utilisé dans le monde réel”. Il faudrait rappeler à certains que l’économie est la science qui permet de gérer la rareté dans un monde fini, non la religion qui multiplie les petits pains.

Evidemment, pour les politiques, il est plus facile de suivre cette religion que d’écouter le discours de personnes telles que Christian Gollier, le directeur de la Toulouse School of Economics et contributeur aux rapports du Giec, qui, dans l’entretien qui paraît dans ce numéro, estime que la transition exigera “du sang, de la sueur et des larmes”. Ne rêvons pas. Changer le système de production actuel basé sur une énergie carbonée bon marché pour un système reposant sur une énergie décarbonée sans doute deux fois plus chère sera coûteux. Notre pouvoir d’achat, forcément, s’en ressentira.

Ce n’est pas une raison pour se décourager. Toutefois, note Christian Gollier, puisque la transition sera douloureuse, autant la commencer rapidement et la rendre la moins pénible possible. Cela suppose, puisque les moyens sont rares, de consacrer nos efforts aux actions les plus efficaces. Ne rééditons pas des initiatives telles que les certificats verts qui ont coûté aux contribuables wallons 2,5 milliards d’euros. Il s’agira aussi d’imposer un prix réel du carbone, qui permettra aux acteurs économiques d’allouer le capital là où il sera le plus rentable. Et il faudra mettre en place une fiscalité redistributrice permettant de réduire les inégalités pour donner à tous les moyens de “vivre décarboné” et d’investir donc pour cela. Mais il manque, au niveau politique, un Churchill pour avoir le courage de l’annoncer.

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