Paul Vacca
La société du sous-titre
On pensait les sous-titres réservés à une coterie de snobs en voie de disparition.
Aux rares amateurs de la texture du texte original qui ne supportent les œuvres cinématographiques que dans leur version originale sous-titrée (VO-ST) et qui n’envisagent jamais de voir un Woody Allen, un Nanni Moretti, un Kurosawa ou même un blockbuster dans une version doublée. Et ce, qu’ils comprennent ou non l’idiome de départ, et en dépit du travail souvent remarquable effectué par les acteurs chargés du doublage.
Ces rares amateurs se recrutaient principalement parmi les cinéphiles, en Europe et surtout en France. Aux Etats-Unis, on n’en trouvait pratiquement pas, hormis dans quelques salles à New York ou à San Francisco, aucun distributeur ne voulant infliger à son public la gymnastique fastidieuse consistant à lire des sous-titres. On pensait dès lors naïvement que les sous-titres allaient disparaître avec les derniers cinéphiles.
Pourtant, on observe l’inverse: jamais les sociétés de sous-titrages n’ont été autant sollicitées. Une étude menée par Preply, une société américaine, montre l’ampleur du phénomène chez les plus jeunes: 70% des 18 à 25 ans et 53% des personnes des 25 à 41 ans regardent la plupart des vidéos en ligne en activant les sous-titres. Assisterait-on à une résurrection digne de celle du vinyle?
Certes les phénomènes comme La Casa de Papel ou Squid Game ont beaucoup fait pour l’appréciation des idiomes locaux dans les films ou les séries. Mais il faut noter que le gros de cette renaissance n’a pas grand-chose à voir avec sa cinéphilie d’origine. Le sous-titrage s’est d’abord diffusé de façon clandestine pour les films piratés sur le net. Avant l’apparition des plateformes, c’était le seul moyen d’accéder à un film ou à une série sans attendre les longs délais de doublage et de diffusion du circuit classique.
Mais le plus étonnant et massif dans ce phénomène de résurgence, c’est l’existence de sous-titres pour des contenus diffusés… dans notre propre langue. Il y a les cas plutôt marginaux de séries comme Game of Thrones ou Peaky Blinders, où l’accent des protagonistes reste incompréhensible même aux locuteurs natifs qui ont alors besoin de sous-titres. Il y a aussi l’utilisation de confort car les dialogues dans les productions récentes sont de moins en moins audibles. Si vous les activez, ce n’est donc pas nécessairement que votre ouïe est moins alerte, c’est surtout dû au fait que les compressions de son sur les plateformes rendent les dialogues moins audibles.
On ne peut s’empêcher de lire dans cette nécessité de tout surligner le symptôme d’une société qui ne sait plus écouter.
Mais la véritable tendance de fond est que nous consommons désormais des vidéos dans le brouhaha de l’économie de l’attention. Soit que nous coupions le son dans les lieux publics ou les transports ; soit que nous soyons en train de faire autre chose en même temps, comme regarder une série en scrollant sur notre smartphone. Le sous-titrage devient l’effet de redondance nécessaire pour fixer notre attention. Pas étonnant qu’ils nous soient imposés partout: dans les capsules TikTok, les vidéos YouTube (même dans les clips musicaux! ), dans les publicités… Dans un curieux effet de boucle temporelle, la technologie nous ramène à un temps ancien, celui où les images animées avait besoin du texte pour être comprises: le cinéma muet avec ses intertitres.
Bien sûr, tout cela possède aussi son effet vertueux comme une meilleure accessibilité pour les sourds et les malentendants aux contenus audiovisuels. Mais on ne peut, dans le même temps, s’empêcher de lire dans cette omniprésence écrasante des sous-titres et cette nécessité de tout surligner le symptôme d’une société qui ne sait plus écouter.
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