Herman Matthijs

Guerre commerciale de Trump: 10 observations clés sur les nouveaux droits de douane

Herman Matthijs Professeur en Finances publiques

L’annonce des nouveaux droits de douane américains par le président Donald Trump a le mérite d’être clair, selon Herman Matthijs, professeur de finances publiques (VUB, UGent). Il est frappant de constater à quel point de nombreux pays sont mal préparés à cet acte politique pourtant annoncé de longue date. Seule la Chine a réagi immédiatement. Voici dix observations sur ce plan.

1 Trump a hérité d’un dossier irrésolu depuis des années : l’énorme déficit de la balance commerciale des États-Unis. Pour l’année 2024, ce déficit s’élevait à pas moins de 918 milliards de dollars. En d’autres termes, les États-Unis ont importé pour 918 milliards de dollars de plus qu’ils n’ont exporté. On observe toutefois une différence notable dans la répartition de ce déficit. La balance des services (comme les TIC et les technologies) affiche un excédent de 294 milliards de dollars, tandis que la balance des biens (comme les métaux et les automobiles) présente un déficit de 1 212 milliards de dollars. Le déficit est donc massivement concentré dans l’importation excessive de biens, liée aux industries primaire et secondaire.

2 Ajoutez à cela un déficit budgétaire fédéral représentant 6 % du produit intérieur brut (PIB), et une dette publique atteignant 106 % du PIB, et l’on ne peut qu’en conclure que le pays de l’Oncle Sam vit au-dessus de ses moyens.

3 Le président Trump a désormais lancé des droits de douane plus élevés afin de protéger l’économie américaine et de générer davantage de recettes pour le budget fédéral. Il espère que les consommateurs américains se tourneront vers des produits fabriqués aux États-Unis, et que les entreprises étrangères viendront implanter leurs chaînes de production sur le sol américain. Reste à savoir si ces espoirs se concrétiseront : l’avenir nous le dira.

4 Il s’agit d’une liste de tarifs pour le moins étonnante : 10 % pour la plupart des pays, jusqu’à 50 % pour le Lesotho et les îles françaises de Saint-Pierre-et-Miquelon, situées au large de la côte est du Canada. Parmi les absents notables, on remarque la Russie, la Biélorussie et la Corée du Nord. Autre fait curieux : le Vatican n’est pas soumis à une augmentation de tarifs. Quant à l’Iran, il n’écope que d’une hausse de 10 %, tout comme les États arabes pétroliers et l’Égypte. Israël, lui, est taxé à 17 %. Les territoires français de Guyane et de Polynésie figurent à 10 %, tout comme les îles caribéennes néerlandaises. Autre élément notable : le Royaume-Uni se voit appliquer un tarif de 10 %, tandis que les îles Falkland (Malouines) montent à 41 %.

5 L’Union européenne dispose certainement de leviers pour plaider en faveur d’une réduction du tarif de 20 % auprès du président américain. Tout d’abord, il y a l’excédent de la balance des services en faveur des États-Unis vis-à-vis de l’Europe. Si l’Union européenne décidait d’imposer des taxes et droits de douane plus élevés sur ces services, cela deviendrait problématique pour les Américains. Ensuite, les achats militaires massifs réalisés en Europe, pour un montant avoisinant 800 milliards d’euros, représentent une opportunité très attrayante pour l’économie américaine. Mais attention : ne pas se tirer une balle dans le pied, car le F-35 est composé à 30 % de pièces d’origine européenne.

6 Des droits de douane plus élevés au sein de l’UE pourraient représenter un coup de pouce pour un budget belge qui n’est pas vraiment en bonne santé. En effet, les États membres perçoivent ces droits de douane et peuvent en conserver 25 % à titre de frais de collecte. Tout cela est précisé dans la décision sur les ressources propres de l’Union européenne. Le budget européen pour 2025 estime que la Belgique versera cette année 2,2 milliards d’euros au budget de l’UE et gagnera 755 millions d’euros en frais de collecte.

7 En raison de la chute des cours boursiers, le gouvernement De Wever peut déjà ranger ses rêves de taxe sur les plus-values. Étant donné que l’accord de gouvernement mentionne également les moins-values, il serait préférable pour lui de ne pas mettre cette idée en place, car cela coûterait énormément à la trésorerie en 2025.

8 Les mesures prises à l’encontre du Mexique et du Canada, mettent définitivement fin à l’accord de libre-échange NAFTA avec les États-Unis. Toutefois, l’Union européenne a signé des accords de libre-échange avec le Royaume-Uni, le Mercosur et le Canada. Le marché intérieur de l’Espace économique européen, avec 500 millions d’habitants, est bien plus vaste que celui des États-Unis. Et qui sait, un accord pourrait bientôt être signé avec l’Inde, l’économie en plus forte croissance au monde.

9 Le conflit avec le voisin Canada pourrait encore coûter cher à Washington D.C. Car le Canada est géopolitiquement extrêmement bien situé et possède une richesse en ressources naturelles considérable. Le pays se prépare à des élections le 28 avril, et la question se pose de savoir si Ottawa doit se tourner vers l’Europe. Les disputes de Trump avec le Canada constituent sa plus grande erreur.

10 Cela marque la fin de plus de trente ans de libre-échange mondialisé. Ce n’est pas que les États-Unis ou l’Union européenne qui en sortent gagnants. Le véritable gagnant est la Chine, qui, avec son économie dirigée par l’État, est devenue la grande gagnante.  Il reste encore des négociations à mener sur les tarifs. Il sera donc intéressant de voir quelle position adopteront les 27 pays de l’UE. Et surtout : qui se rendra à Washington D.C. ou à Mar-a-Lago pour faire baisser ces 20 % : Macron et/ou Meloni ?

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