Amid Faljaoui

“Etes-vous bien humain?” Quand l’IA rend l’homme indiscernable de la machine

Dans certains centres d’appels, les employés doivent désormais tousser, bafouiller ou plaisanter pour prouver qu’ils ne sont pas… des intelligences artificielles. À l’heure où l’humain devient indiscernable de la machine, une question vertigineuse surgit : qu’est-ce qui nous rend encore humains ?


J’ai lu cette semaine une  enquête étonnante dans Bloomberg. Il racontait l’histoire de Jessica, opératrice dans un centre d’appels d’American Express. Ce qu’elle fait est banal : elle répond aux questions des clients. Ce qu’elle vit, en revanche, l’est beaucoup moins. Pourquoi ? Mais parce que chaque jour, Jessica doit convaincre son interlocuteur qu’elle n’est pas… une machine. Elle tousse, elle rit, elle hésite, parfois elle improvise une blague. Tout cela pour une seule chose : prouver qu’elle est humaine.

Et malgré tous ses efforts, il arrive encore que des clients lui raccrochent au nez, persuadés d’avoir eu affaire à une IA.

On croit rêver. Nous avons passé des décennies à essayer de faire parler les machines comme des humains. Et maintenant, ce sont les humains qui doivent imiter les machines qui imitent les humains pour prouver qu’ils ne sont pas des machines.

C’est vertigineux.

Et ce n’est pas qu’un gag technologique. C’est un symptôme. Car derrière l’IA, il y a un processus plus ancien, plus insidieux : la standardisation des relations humaines. Des scripts, des logiciels qui gomment les accents, des contrôles de ton, des KPI de chaleur vocale…l’horreur au quotidien et orchestrée par quasi toutes les entreprises!

À force de tout lisser, tout calibrer, tout automatiser, on finit par ne plus sentir l’autre. À force de vouloir éviter les “erreurs humaines”, on finit par supprimer l’humanité elle-même. Et le pire ? C’est que même les humains finissent par douter. L’un des collègues de Jessica confie dans l’article : « Parfois, je ne sais même plus si je suis encore un humain. »

C’est glaçant. Mais c’est aussi une boussole. Car, si nous devons un jour prouver notre humanité, ce ne sera pas par notre performance, notre efficacité, notre productivité. Ce sera par nos aspérités : une hésitation dans la voix, une blague ratée, un soupir, un silence. Bref, tout ce qu’une machine cherche à éviter.

Et, si nous voulons rester humains dans un monde peuplé d’intelligences artificielles, alors il va falloir réapprendre à être imparfaits.  Oui, sauf que les machines IA jouent aussi de notre imperfection… si vous opérez vocalement avec ChatGPT, vous m’avez compris. Hélas!  

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