Philippe Ledent

Les “épaules les plus larges”, un concept qui ne veut rien dire…

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

S’il y a bien un sujet qui a occulté tous les autres lors des récentes discussions budgétaires, c’est bien celui des “épaules larges”.

Tout cela part d’une sorte de slogan qui dit que s’il y a des efforts à faire, il faut les faire peser sur les épaules les plus larges. Sans le connaître, je me dois de féliciter le conseiller marketing ou en communication politique qui a un jour suggéré à quelqu’un de l’utiliser.

C’est le concept parfait en matière de finances publiques, et ce, pour deux raisons : d’une part, le concept est très visuel. En l’évoquant, on imagine par exemple les castells, ces tours humaines que l’on peut voir en Catalogne. Les épaules les plus larges supportent les charges les plus lourdes : c’est d’une logique implacable. D’autre part, c’est un concept très relatif. La plupart des gens vous diront qu’ils n’ont pas les épaules larges, ou en tout cas considèrent que beaucoup de gens ont des épaules plus larges que les leurs. L’idée de faire supporter les efforts budgétaires aux épaules les plus larges a donc quelque chose de rassurant : quelqu’un d’autre paiera… mais pas moi !

Un concept qui ne veut rien dire

Ce concept ne veut cependant rien dire et il a fini par décevoir tout le monde. Les partis au pouvoir espéraient répondre à une demande, en introduisant des facteurs de largeur d’épaules dans certaines mesures (non-indexation des salaires au-delà de 4.000 euros par mois, taxation des comptes-titres à partir d’un million d’euros…). De fait, en matière de salaires, il est factuellement correct de dire que la moitié supérieure des contribuables possèdent des épaules plus larges que l’autre moitié. Et pourtant, personne n’est content. Beaucoup ont découvert qu’ils avaient les épaules plus larges qu’ils ne le pensaient. Ceux et celles qui voulaient attaquer les épaules larges sont également frustrés et se mettent soudainement à parler des épaules très larges, et pas simplement larges.

Avant, il ne fallait pas toucher à la classe moyenne. Maintenant, il faut concentrer l’effort sur les épaules les plus larges. Il faut en finir avec tous ces concepts mal définis.

Avant, il ne fallait pas toucher aux classes moyennes. Maintenant, il faut concentrer l’effort sur les épaules les plus larges. Je pense surtout qu’il faut en finir avec tous ces concepts mal définis. Des données quantitatives, certes imparfaites, permettent d’objectiver celles et ceux que l’on vise. En matière de patrimoine, les données sont peu précises. Les travaux de la Banque nationale de Belgique dans le cadre d’un projet de la Banque centrale européenne sur la répartition du patrimoine des ménages pourraient néanmoins fournir des montants et une ébauche de répartition.

Les revenus, une base de données très utile

Au niveau des revenus, les données des déclarations IPP (isolées ou communes) sont par contre une base de données très utile. Le concept utilisé par Statbel, qui publie les données, est celui du revenu net imposable. Ce denier correspond à tous les revenus nets après soustraction des dépenses déductibles. Il s’agit donc du montant qui sera soumis à l’impôt. De cette manière, on peut donc répartir les contribuables en déciles de revenus, par exemple, afin de fixer objectivement des seuils d’application de mesures ou de nouvelles taxes. C’est d’autant plus intéressant que l’on sait aussi quelle est la contribution actuelle de chaque tranche de revenus à l’impôt total.

À charge pour chaque parti politique d’assumer ses choix et de justifier pourquoi, compte tenu de sa contribution actuelle, tel ou tel niveau est visé. Cela promet quelques surprises… et quelques nuits blanches aux conseillers en communication politique. Mais n’attendons-nous pas de la clarté et de l’objectivité dans les décisions qui sont prises ?

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire