Laurent Alexandre et Alexandre Tsicopoulos

Et si Poutine et Xi Jinping vivaient mille ans ?

Début septembre, à Pékin, les micros ont surpris par accident une scène surréaliste : en marge du défilé militaire, Vladimir Poutine et Xi Jinping parlent longévité, biotechs et quasi-immortalité. Les deux hommes ne discutaient ni de tarifs douaniers ni de l’Ukraine, mais de greffes, de cellules souches, des promesses d’une vie immensément prolongée et de l’éternelle jeunesse. Cette vision biopolitique est désormais plausible. L’IA accélère les progrès biologiques avec la reprogrammation épigénétique, les sénolytiques, les organes imprimés et les jumeaux numériques. À cela s’ajoute la “survie numérique”.

Sam Altman vient d’évoquer, début octobre 2025, la perspective de la fusion de notre esprit avec l’IA pour accéder à l’immortalité numérique. Le transfert de la conscience dans les serveurs informatiques, prédit par le père de ChatGPT, permettrait de créer des IA politiques capables de parler, punir et arbitrer après la mort biologique du dirigeant. Le chef n’a plus de corps, mais il survit dans les ordinateurs. C’est la version politique du film Her, avec Joaquin Phoenix. Nous allons connaître un basculement géopolitique si les dictateurs veulent vivre mille ans.

Les dictateurs de l’Est pensent : “Si nous, autocrates, vivons plus longtemps que vous, nous contrôlerons le monde.” Le 21e siècle ne sera pas qu’un choc de blocs, mais il devient un duel de temporalités. La fascination pour l’extension de la vie n’est pas un caprice. Celui qui s’imagine vivre plusieurs siècles ne raisonne pas comme un élu coincé entre deux scrutins ou comme un patron prisonnier du trimestre.

Notre vision politique reposait sur la croyance que les individus sont mortels, mais les nations immortelles. On transcende sa finitude par les enfants et la mémoire collective. Mais le contraire se profile puisque les puissants se rêvent immortels, tandis que nos nations vieillissantes, déstabilisées par l’effondrement démographique et la pression migratoire, semblent mortelles. Les tyrans glissent du “que restera-t-il de moi ?” vers “combien de temps puis-je durer, moi ?”. L’IA biomédicale transforme le pouvoir et risque de fabriquer une aristocratie du temps puisque ceux qui vivraient 1.000 ans empileraient capital, réseaux et puissance. L’éternité pour une petite élite conduirait à fossiliser le pouvoir. La mort de la mort déplace l’axe du temps.

La bonne réponse n’est pas d’imiter la tyrannie, mais de transformer notre organisation démocratique. À l’heure où des dirigeants rêvent d’une éternité au pouvoir, il est urgent d’augmenter la démocratie pour qu’elle reste mortelle dans ses hommes, mais immortelle dans ses principes. Au moment où la géopolitique se joue non plus sur l’espace, mais sur l’horizon temporel, l’Occident reste prisonnier du mandat court, du budget annuel et du cycle médiatique. Pour nous, Européens, le risque est grand.

Que faire ? D’abord, rallonger notre propre horizon en cessant de gouverner à court terme. Ensuite, protéger la politique du fantasme d’immortalité. Nous devons continuer à limiter la durée des mandats et refuser la tentation des IA-avatars “posthumes” qui prolongeraient indéfiniment le pouvoir des dirigeants disparus. À nous de passer de la politique éphémère à la stratégie de long terme. Notre ingénierie politique doit promouvoir le temps long sans renoncer à la démocratie. Le pouvoir qui dure par l’innovation vaut mieux que le pouvoir qui dure par la médecine régénératrice et les avatars. Parce que la meilleure longévité politique reste celle des idées qui se renouvellent, pas celle des corps qui refusent de vieillir.

La meilleure longévité politique reste celle des idées qui se renouvellent, pas celle des corps qui refusent de vieillir.

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