Pierre-Henri Thomas
En France, la défaite de la pensée
Les programmes des deux clans susceptibles de l’emporter en France sont économiquement délirants.
It’s the economy, stupids. La petite phrase d’un des conseillers de Bill Clinton, alors en lice contre George Bush pour devenir président des États-Unis, avait fait le tour du monde : en 1991, après la guerre du Koweït, George Bush paraissait imbattable. Un an plus tard, rattrapé par la récession contre laquelle le président sortant républicain semblait impuissant, George Bush perdait une majorité de soutien et Clinton gagnait les élections.
Aujourd’hui, quand on regarde le spectacle politique peu reluisant qui se déroule en France, on est frappé par l’indigence du débat économique, par l’absence totale de raisonnement derrière les programmes de deux clans le plus susceptibles de l’emporter puisque le centre, ayant superbement ignoré les problèmes de la France profonde, celle qui n’habite pas à Paris, est démonétisé pour un certain temps. Même si la politique économique d’Emmanuel Macron a réussi à endiguer la vague inflatoire assez efficacement, les électeurs l’ont superbement ignoré, car leur frustration vient de ce sentiment, justifié, d’abandon par l’Etat de pans entiers du territoire, privés de services de proximité.
Programmes délirants
Nous avons donc désormais à gauche le « Nouveau Front populaire », alliance improbable de communistes, d’écologistes, d’insoumis et de socialistes, dont le programme annoncé en fin de semaine dernière est proprement délirant. Il prévoit un « choc fiscal et budgétaire » de 250 milliards d’euros, qui serait financé en partie par 80 milliards d’euros d’impôts supplémentaires qui toucheront évidemment la classe moyenne (les vrais riches auront quitté le pays). C’est une liste à la Prévert : blocage des prix du carburant et des produits alimentaires de base, premiers Kwh gratuits, remontée de 10% , garantie d’autonomie pour les jeunes, indexation des salaires (mais sans notre système de loi sur la compétitivité), revalorisation du salaire minimum à 2.000 euros bruts, retraite à 60 ans dans les cinq années à venir, réduction des effectifs des classes à 19 maximum, enseignement totalement gratuit (cantine scolaire, équipements …). On rase gratis.
À droite, le programme RN coûterait une centaine de milliards par an, et sans doute plus en raison de la baisse de la croissance induite par le retour au protectionnisme. Ces mesures protectionnistes devraient abaisser toute chose restant égale le PIB français de 3,5 points de PIB. Et à côté de cela, le RN aussi veut dépenser à tout va : baisse de la TVA à 0% sur une centaine de produits de base, exonération des cotisations sociales sur les augmentations salariales de 10% ou plus (pour les salaires inférieurs à trois fois le SMIC), exonération de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans, réduction de de la TVA sur l’énergie de 20 à 5,5%, abaissement des charges patronales, en supprimant certaines cotisations sociales spéciales. L’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans, promesse des populistes de droite, est désormais discrètement mise sur le côté…. Cela serait financé en partie par une réduction de moitié de la contribution française à l’Union européenne. C’est le « I want my money back » de Margaret Thatcher, version 2024.
Le clash annoncé avec “Bruxelles”
A l’extrême droite comme à l’extrême gauche, nous aurions donc en France un déficit public avoisinant les 10 points de PIB, voire davantage, car aucun des deux clans n’anticipent une forte remontée du coût de la dette. Elle est pourtant inévitable si ces programmes sont mis en œuvre. On voit déjà les fonds spéculatifs se pourlécher les babines. Et la France, qui avait réussi à attirer de nombreux investisseurs étrangers sur son sol, risque de les voir repartir illico.
Alors de deux choses l’une. Soit les politiques qui tiennent ces promesses savent pertinemment bien qu’elles ne pourront pas être tenues. Pour rester dans l’euro et dans l’Union européenne, la France doit en effet respecter certaines règles budgétaires de base.
Soit ces partis désirent s’affranchir des règles européennes et préparent un « Frexit » assez facile à vendre à l’électeur puisquils brandiront l’argument: « Bruxelles nous interdit de faire ce que nous voulons ». Ce n’est pas dans le programme officiel des deux clans, mais les franges dures du RN et de LFI détestent l’idée européenne.
Le plan vs Trump
Dans cet environnement de folie, la grande perdante, c’est la rationalité économique. Qu’est-ce que l’économie sinon, finalement, la manière de gérer les ressources au mieux au profit du plus grand nombre, sachant que ces ressources sont limitées et fluctuantes.
Or, tous ces partis raisonnent comme si la richesse était là, par nature, et qu’il suffisait de se baisser et puiser dans les coffres pour la distribuer à l’électeur. Les uns parce qu’ils sont les héritiers lointains d’une économie planifiée à la communiste. A l’époque, le parti anticipait les besoins en capacité de production parce qu’il imposait aux ménages ce qu’ils allaient consommer, et en quelles quantités. Cela n’a jamais donné ni bonheur, ni prospérité.
Les autres parce qu’ils considèrent, comme Donald Trump aux États-Unis, que l’économie est un jeu à somme nulle, un gâteau immuable : si j’empêche mon voisin de manger, j’en aurai une plus grande part. Mais personne ne vit plus en autarcie depuis des siècles. D’où tirerions-nous notre énergie, notre technologie, nos services digitaux…. ? En fait, l’économie est un flux de création de richesses qui s’alimente à quelques grandes sources : les ressources matérielles et financières, le désir d’entreprendre et de travailler et la confiance. Ce que l’on voit arriver aujourd’hui en France risque de les tarir toutes les trois. Lorsque l’on s’en rendra compte, il sera forcément trop tard. Et la crise française risquera alors de percoler au-delà des frontières de l’hexagone.
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