Pierre-Henri Thomas
Van Hool et la destruction non créatrice
La semaine dernière, le “Financieele Dagblad”, quotidien néerlandais, se plaignait, en évoquant le possible départ du groupe ASML, joyau de l’industrie néerlandaise, de la “belgification” [sic] du pays, après la sortie des Pays-Bas des sièges d’Aegon, de Shell, de DSM et autre Unilever. Pendant ce temps, en Flandre, certains redoutent la “wallonisation” de la Région et comptent les plans de licenciements qui s’amoncellent : Wordline, Sappi, Innovia Film, Schneider, Barry Callebaut et, aujourd’hui, le constructeur de bus Van Hool, dont le projet de la dernière chance prévoit la disparition d’un bon millier d’emplois en Belgique et le déménagement de la production en Macédoine du Nord.
Chaque dossier est unique mais si l’on observe ces mois-ci un nombre accru d’accidents, c’est que la conjoncture se fait plus dure : les aides nées à l’époque de la crise sanitaire sont terminées, les prix énergétiques et les coûts salariaux augmentent et, dans cette mer agitée, les entreprises doivent plus que jamais se montrer agiles et adopter les bonnes stratégies. Les faibles, les moins bien gérées, restent sur le carreau.
“L’Union européenne s’est souvent comportée comme le ravi du village.”
Bien sûr, chaque restructuration est d’abord et avant tout un choc pour les familles et la région concernées. Mais elle devrait faire partie de ce processus qui, normalement, donne son dynamisme à une économie. Dans le concept de destruction créatrice, il y a “destruction”, une notion qui ne devrait pas faire peur dans une Région comme la Flandre, qui compte moins de 4% de chômeurs et une base industrielle demeurée solide.
Toutefois, la destruction créatrice n’a de sens que si chacun des compétiteurs dispose des mêmes chances au départ. C’est là qu’intervient le grand problème, toujours en mal de résolution, d’une Europe qui n’a pas mis en place cette égalité des chances. Dans un monde où la Chine et les Etats-Unis pratiquent sans honte aucune la préférence nationale, l’Union s’est souvent comportée comme le ravi du village. Dans le cahier des charges de De Lijn relatif à la commande de bus électriques, le critère du prix surpassait de loin les autres. En présentant une facture de 20 à 25% moins chère que celle de son concurrent flamand, le constructeur chinois BYD a emporté le morceau. Cette naïveté nous coûte cher. Le Vieux Continent, qui possède pourtant un des marchés les plus riches et compte 450 millions d’habitants, n’a pas d’industries en proportion. Les géants technologiques se trouvent pour la plupart aux Etats-Unis ou en Chine.
Une soixantaine de grands industriels qui se sont récemment réunis à Anvers demandent d’ailleurs la réalisation urgente d’un vrai grand marché européen. Ce qui nécessite trois choses. Tout d’abord, une plus grande fermeté quant à l’accès au marché européen des entreprises étrangères subventionnées par la Chine ou les Etats-Unis, mais aussi, à l’intérieur de l’Union, une réglementation claire sur les aides d’Etat dont profitent certaines entreprises soutenues par des pays comme l’Allemagne ou la France, qui n’hésitent pas à sortir le chéquier.
Ensuite, la construction d’un véritable marché européen de l’énergie, facteur souvent prépondérant quand on parle de compétitivité industrielle. L’Union n’a jamais eu de politique commune en matière d’énergie, ce qui a créé une grande fragilité dont nous payons aujourd’hui les conséquences. Le troisième point d’attention, enfin, est la réglementation : si l’on fixe des objectifs contraignants mais inaccessibles, notamment en matière de transition énergétique, on risque de voir s’accélérer encore un peu plus le départ des entreprises industrielles hors d’Europe. Pour que l’industrie européenne ne subisse pas un processus de destruction non créatrice, la mise en œuvre de ce triptyque est essentielle.
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