Pierre-Henri Thomas
Une forte personnalité aux Finances, SVP !
La fiscalité sera une des grandes thématiques du nouveau gouvernement. Normal, lorsque l’on sait que pour retrouver l’équilibre, notre pays devra réaliser un effort budgétaire d’environ 25 milliards par an. On ne voit pas comment y arriver sans à la fois économiser et lever de nouveaux impôts.
On pense donc à lever certains tabous existants depuis des décennies. Le plus symbolique est celui de l’exonération des plus-values, qui pourrait disparaître puisque la mesure se trouve dans la “super note” de Bart De Wever, qui a repris son bâton de formateur en ce début de semaine. Pour les détails sur cette idée qui a de fortes chances de voir le jour, et sur, plus largement, les projets fiscaux en cours, nous vous conseillons de consulter notre dossier de couverture dans ce numéro.
On aurait tort, toutefois, de limiter le débat à quelques points spécifiques. Les détracteurs comme les supporters d’une taxation des plus-values se retrouvent sur un sujet : nous avons besoin d’une réforme en profondeur de notre fiscalité, qui devient illisible, atrocement complexe, qui rebute les investisseurs étrangers et dont l’application par l’administration pose des problèmes démocratiques de fond.
Le dernier gouvernement, au long de la législature, n’a pas mis en œuvre de loi-programme générale. Il n’a fait voter que des lois qui, à une exception près (la loi de mai dernier qui accroît les déductions pour investissement), renforcent les sanctions et la dureté de l’administration. Dureté ? Le fiscaliste Pierre François Coppens observe qu’une déclaration qui n’a que quelques jours de retard peut entraîner une faillite d’une entreprise, parce que ces pertes sont remises en question. “Les pertes ne sont pas perdues, elles sont reportées l’année suivante. Mais comme l’entreprise doit payer l’impôt immédiatement, sans compter les amendes et les accroissements, elle se retrouve par terre”, dit-il.
“Il faudra restaurer la confiance perdue entre l’administration et le contribuable, et réformer profondément un appareil fiscal devenu fou”
Complexité ? La loi de décembre 2023, qui traduit en droit belge la directive européenne sur l’impôt minimum des multinationales, impose à une PME, qui par exemple aurait une filiale suisse, de tenir une double comptabilité. L’une obéissant aux règles helvétiques pour payer l’impôt suisse, l’autre obéissant au droit comptable belge afin de démontrer au fisc belge qu’elle paie déjà un impôt suffisant en Suisse ! “C’est complètement fou”, commente Pierre-François Coppens.
L’image n’est pas plus flatteuse du côté de l’impôt des personnes physiques, où il n’existe pratiquement plus de stabilité. L’expert fiscal Roland Rosoux avait compté que dans ses matières, sur un an, 2.400 articles légaux ou réglementaires nouveaux, modifiés ou abrogés étaient apparus, dans plus de 300 lois, arrêtés, etc. “C’est une règle qui change toutes les quatre heures”, s’insurgeait-il. “En matière d’IPP, on ne sait pas si ce qu’on dit aujourd’hui sera encore valable dans deux jours”, ajoute un fiscaliste. Aujourd’hui, alors que l’administration peut impunément commettre des erreurs d’appréciation, alors que le travail législatif est souvent bâclé, nécessitant de multiples corrections, le contribuable, lui, n’a plus droit à l’erreur.
Comment, dans ces conditions, les citoyens et les entreprises peuvent-ils encore avoir confiance en l’Etat et se soumettre de bonne grâce à l’impôt ? La grande argentière ou le grand argentier du prochain gouvernement aura donc une tâche urgente : restaurer la confiance perdue entre l’administration et le contribuable et réformer profondément un appareil fiscal devenu fou. Alors, svp, nommez une forte personnalité comme prochain ministre des Finances.
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