Un État qui ne fonctionne plus


Une voix rare et précieuse vient de s’éteindre. Celle de Typhanie Afschrift, qui nous a quittés brutalement. Pour celle qui a vécu pleinement sa vie, la liberté individuelle était le plus cher trésor. Celui qui n’est jamais acquis et qui est la condition sans laquelle nous ne pouvons pas nous épanouir.
Cette liberté est indissociable de la place que l’État doit prendre pour nous permettre de nous réaliser. Certes, on pouvait être d’accord ou pas avec ses attaques contre l’État providence et la politique de redistribution mise en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Mais ce que Typhanie Afschrift pointait avec justesse, c’est le fait qu’aujourd’hui, cet État ne fonctionne plus. Il est incapable d’assurer encore ses fonctions régaliennes, premières, essentielles : assurer la justice, la sécurité, la défense, l’enseignement…
L’état de la justice ? La lettre ouverte signée par plus de 440 jeunes magistrats et publiée cette semaine dans Le Soir en donne une idée : “les fonds pour rénover les palais de justice, pour acheter du matériel informatique, pour fournir un téléphone portable aux services de garde, ou même un robinet d’eau potable, n’existent pas”.
L’état de la sécurité ? Les cris d’alarme, notamment de la commissaire nationale aux drogues concernant le risque que notre pays n’ait plus la capacité de se défendre contre la mainmise du narcotrafic, devraient réveiller les plus endormis.
“L’État semble incapable d’assurer encore ses fonctions régaliennes, premières, essentielles, qui sont d’assurer la justice, la sécurité, la défense, l’enseignement…”
L’état de la défense ? La Belgique est un des pays européens qui a le plus profité des “dividendes de la paix”, réduisant son budget militaire à 1,3% du PIB et on ne sait toujours pas comment nous parviendrons à atteindre le seuil minimum de l’Otan de 2% aujourd’hui et sans doute de 5% demain. Le plus tristement cocasse est que ceux qui veulent mobiliser les dividendes de Belfius pour résoudre cette équation budgétaire étaient les mêmes qui, hier, voulaient vendre la banque.
Et puis, il y a l’état de l’enseignement. Il suffit de lire les dernières études PISA pour voir combien les élèves belges, et particulièrement belges francophones, sont en dessous de la moyenne de l’OCDE, signant l’échec d’une politique censée assurer à tous l’accès à un socle de connaissances pour démarrer dans la vie.
Ces défaillances ne sont pas le résultat d’un manque de moyens. Les impôts ne peuvent pas être considérablement augmentés alors que nous avons une fiscalité des personnes physiques parmi les plus lourdes des pays de l’OCDE. Le problème vient plutôt d’une double incapacité. À se fixer des priorités, d’abord. Porté par des considérations électoralistes, le politique a étendu son champ d’action dans trop de directions pour pouvoir mener à bien toutes ses missions.
Et il y a cette incapacité à obéir aux règles élémentaires de gouvernance, ensuite. Faut-il rappeler que Bruxelles-Capitale est une Région en quasi-faillite et toujours incapable de former un gouvernement ? Faut-il rappeler que l’État fédéral ne parvient toujours pas à redresser la barque budgétaire, et que les gouvernements successifs, malgré les promesses, ne sont toujours pas parvenus à accoucher de la vraie réforme fiscale qui devrait permettre d’avantager les revenus du travail ? Faut-il rappeler aussi que le pays compte plus de 500.000 demandeurs d’emploi inoccupés et plus encore de malades de longue durée ? Sur une population qui s’approche des 12 millions d’habitants, il n’y a que 5 millions de personnes qui occupent réellement un emploi !
On rétorquera avec raison que les statistiques ne font pas bouger une société. En effet, ce sont les rêves et les aspirations de chacun qui en sont les moteurs. Mais pour que ce moteur fonctionne, il faut un État qui assume ses devoirs essentiels.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici