Pierre-Henri Thomas
Un budget de réarmement, pour éviter la guerre
Le 24 février 2022, le président russe Vladimir Poutine ordonnait l’invasion de l’Ukraine. Cette guerre et les développements géopolitiques actuels ont profondément déstabilisé la ‘‘maison Europe’’, en faisant s’effondrer ses fondations : finie l’énergie russe bon marché, finis les dividendes de la paix, fini aussi le développement incroyable du marché chinois, qui nous a permis pendant 20 ans de nous affranchir de l’inflation en achetant très bon marché une série de produits, tout en exportant vers Pékin berlines et machines-outils.
La Chine est entrée dans une phase de repli, démographique, économique et politique, qui met à mal la mondialisation heureuse sur laquelle l’économie européenne s’est reposée pendant deux décennies. ‘‘Le modèle mondial est cassé’’, avouait il y a quelques jours Roland Busch, le patron de Siemens.
Les Etats-Unis, dès cette année peut-être si Donald Trump s’assoit à nouveau dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, pourraient abandonner leur posture atlantiste et quitter l’Otan. Quant au Kremlin, encouragé par l’indigence des armées européennes, il menace désormais directement les pays baltes et la Pologne et attend avec avidité que l’économie européenne s’arrête faute de carburant. Il se réjouit déjà de notre incapacité à fournir des munitions à l’Ukraine. Alors oui, certains proclament que le conflit ukrainien ne nous regarde pas. Mais Tanguy Struye, le professeur de relations internationales de l’UCLouvain, rétorque qu’au vu de ce qui se passe en Afrique, de la multiplication des cyberattaques et des tentatives de déstabilisation de nos régimes, ‘‘nous sommes déjà en guerre avec la Russie’’. Il a évidemment raison.
Energie, défense, compétitivité : il nous faut donc rebâtir tout, tout seuls, très vite. La semaine dernière, à Gand, devant les grands argentiers de l’Union, Mario Draghi, qui travaille à un rapport sur la compétitivité européenne, a averti : ‘‘nous devrons investir énormément dans un laps de temps relativement court’’. Cet investissement devra être à la fois public et privé, a-t-il ajouté.
“Ceux qui nous disent que cet argent serait gaspillé en vain oublient ce qu’il en coûte, au-delà des destructions et des abominations, de faire réellement la guerre.”
Ce réarmement compétitif et militaire impose en effet de dépenser ‘‘à l’américaine’’. Si la croissance américaine est depuis 15 ans deux fois plus rapide que la nôtre, c’est que les Etats-Unis n’ont pas hésité à dégager des montants considérables pour soutenir leur économie et leur défense, contrairement à une Union européenne qui aime à se réfugier derrière de grands concepts de papier, comme le Green Deal, mais dont le financement ne repose finalement que sur la capacité budgétaire individuelle et limitée de chaque Etat membre.
L’ampleur de ces nouvelles dépenses aura sans doute des effets très désagréables : des coupes dans certains programmes publics jugés moins essentiels, des taxes et un envol de la dette. C’est néanmoins indispensable car le budget de réarmement doit être suffisamment sérieux pour dissuader quiconque d’entrer véritablement en guerre. Ceux qui disent aujourd’hui que cet argent serait gaspillé en vain oublient un peu trop ce qu’il en coûte, au-delà des destructions et des abominations, de faire réellement la guerre. La France a dépensé lors du premier conflit mondial six fois l’équivalent de son budget annuel d’avant-guerre. Le coût des guerres au Moyen-Orient depuis 2001 approche les 10.000 milliards de dollars.
Il y a des vérités inconfortables, mais nécessaires, à rappeler : préparer la guerre pour aider l’Ukraine et éviter l’embrasement du Vieux Continent est nettement moins dispendieux que de ne pas se préparer et s’étonner de voir tout à coup les chars franchir nos frontières.
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