Pierre-Henri Thomas

Taxer les milliardaires n’est plus de la science-fiction

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Une taxe que l’on pensait impossible à mettre en œuvre est entrée en vigueur (dans près de 140 pays, y compris en Belgique). Les multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros doivent s’acquitter depuis le mois de février d’une taxe minimale de 15% sur leurs bénéfices, où qu’ils soient constitués.

Ce qui est possible pour les multinationales le serait-il aussi pour les individus et plus spécialement 3.000 milliardaires en dollars que compte la planète ? On en parle sérieusement, notamment au sein du G20. En février dernier, l’économiste Gabriel Zucman a esquissé, devant les représentants du G20, à quoi cette mesure pourrait ressembler. Ce serait une taxe de 2% sur les revenus réels, taxe hybride (sur le revenu et sur le patrimoine) car à ce niveau de richesse, une partie non négligeable des revenus sont redéfinis en plus-values logées dans des holdings patrimoniaux. Pas mal de grands argentiers pas spécialement crypto-­communistes ont embrayé. Le ministre des Finances français Bruno Lemaire s’est ainsi déclaré en faveur d’un tel impôt, tout comme l’administration Biden qui pousse d’ailleurs une réforme en ce sens aux Etats-Unis.

Certaines de ces très grandes fortunes ont atteint une puissance telle qu’elle défie les Etats.

Attention aux amalgames. Chez nous, dans le discours pré-électoral ambiant, beaucoup confondent, dans un grand élan de populisme, ceux dont le patrimoine est de 1, 2 ou 5 millions avec ceux dont la fortune se compte en milliards. Cela n’a rien à voir et c’est d’ailleurs le cri d’inquiétude lancé par 400 entrepreneurs du pays voici quelques jours. Ces patrons s’inquiètent à juste titre de cette volonté de venir ponctionner les porteurs du capital d’une entreprise familiale, ce qui fragiliserait son développement, en confondant le capital et le revenu que l’on peut en tirer, ou pas. Pour être clair, les ultra-riches sont ces quelques grandes fortunes mondiales dont les revenus se comptent en centaines de millions par an et dont le patrimoine est devenu quasiment systémique. Si Jeff Bezos, Elon Musk ou Mark Zuckerberg tombaient en faillite personnelle demain, nous aurions toutes les chances d’avoir un krach boursier.

Il y a plusieurs arguments qui plaident en faveur de cette “taxe des milliardaires”. Le premier, et nous le développons dans notre dossier de couverture, est que certaines de ces très grandes fortunes ont atteint une puissance telle qu’elle défie les Etats. Une taxe rééquilibrerait un peu ce jeu de pouvoir. Ensuite, la plupart des études montrent que les très grandes fortunes affichent depuis 20 à 30 ans des rendements annuels moyens de 7 à 8%, contre 3 ou 4% seulement pour les patrimoines moyens. Quand on est très, très riche, on a accès à davantage de possibilités d’investissement et à davantage de compétences pour gérer ses avoirs. Une taxe de 2% ne ferait donc qu’écorner une partie de ce rendement excédentaire et réintroduirait par là un peu de concurrence dans le marché des capitaux et dans l’économie en général.

Un tel impôt permettrait aussi de regarnir les trésors publics: il pourrait rapporter 40 milliards d’euros par an aux seuls pays européens. Enfin, il y a la justice fiscale. Il est clair que les très grandes fortunes paient aujourd’hui un impôt non proportionnel et bien plus faible que 99,99% du reste de la population.

Cette double nécessité – lever des impôts et améliorer la justice fiscale – a permis de créer en une dizaine d’années et à la grande surprise des mécréants, un impôt minimum de 15% sur les multinationales qui est désormais en vigueur dans 136 pays. Cette conjonction d’éléments pourrait également pousser à créer un impôt minimum sur les ultra-riches. Ce n’est plus de la science-fiction.

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