Olivier Mouton
Pensions: ceci n’est pas une réforme, mais…
Le projet présenté par le gouvernement d’Alexander De Croo est ultra-minimaliste. Deux éléments, toutefois, laissent penser l’on a entrouvert la porte de réformes plus ambitieuses.
La Vivaldi fédérale aura finalement accouché d’une petite réforme des pensions. Mais elle confirme, ce faisant, qu’elle a enfilé des perles durant cette législature, prolongeant la notion pourtant déjà bien galvaudée de surréalisme à la belge.
L’épure présentée lundi par le gouvernement d’Alexander De Croo est ultra-minimaliste et risque de ne pas suffire à convaincre l’Europe. Or, le paiement de l’intégralité de l’argent du plan de relance est conditionné à la capacité de la Belgique à garder les dépenses du vieillissement de sa population sous contrôle. On est loin du compte… Cette réforme, en réalité, est le plus petit dénominateur commun d’une coalition qui lutte chaque jour pour sa survie.
“Ceci n’est pas une réforme, c’est de la cosmétique, du maquillage, regrette Jean Hindriks. Au fond, cela reflète la fragilité du gouvernement fédéral, c’était impossible qu’il accouche d’une réforme de fond.” Le président de l’Economics School de Louvain précise sa pensée: “Sur les six mesures de cette soi-disant réforme, quatre vont coûter de l’argent, dont le bonus-pension et l’intégration des congés de paternité. Le plafonnement de la péréquation pour les fonctionnaires ne concernera qu’une minorité de cas et la contribution sur le deuxième pilier rapportera, à tout casser, 100 ou 150 millions à partir de 2028. Or, la charge des pensions a augmenté de 15 milliards ces cinq dernières années”. C’est dire l’ampleur du gouffre et, selon ses termes, de “l’art de procrastiner” du monde politique. La réformette devrait permettre d’économiser 0,475% du PIB à l’horizon… 2070.
La patate chaude est renvoyée, sans le dire, à la majorité qui sortira des urnes.
Cette “rustine” ne rencontrera aussi qu’à la marge l’objectif de promouvoir le maintien à l’emploi des seniors en âge de partir anticipativement à la pension. “On vient rajouter un bonus sur un système qui subsidie le départ anticipé au lieu de rediscuter ces systèmes de fin de carrière, estime encore Jean Hindriks. Et ce bonus aura un effet très marginal…”
Pour remettre le système à plat, ce qui est indispensable, un gouvernement fort et volontariste serait nécessaire. La patate chaude est renvoyée, sans le dire, à la majorité qui sortira des urnes après le 9 juin 2024. Si le blocage n’est pas au rendez-vous.
Deux éléments laissent toutefois penser que l’on a entrouvert la porte de réformes plus ambitieuses. Le plafonnement de la péréquation des fonctionnaires les mieux nantis ébauche une nécessité: ralentir l’explosion des coûts des pensions de la fonction publique, intenable pour le budget de l’Etat et des collectivités locales. C’est aussi une façon de toucher à certains privilèges démesurés des fonctionnaires dans un contexte où chacun devra faire des efforts. Enfin. Mais les syndicats grognent déjà…
On entrouvre la porte. On fait tomber un tabou.
Le second élément concerne la taxe sur les contributions au deuxième pilier de la pension. En soi, le principe est dérangeant: 4 millions de Belges épargnent chaque année 5 milliards d’euros pour s’assurer une vieillesse plus sereine. Cette évolution avait été encouragée, mais on viendrait désormais “rançonner” ces personnes. Une honte. Dans les faits, cela ne concernerait toutefois que 1 ou 2% d’entre elles, qui gagneraient davantage que la pension maximale des fonctionnaires (! ) et à raison de 6% sur ce qui dépasse ce montant. Pas grand-chose, donc. Mais là aussi, on entrouvre la porte. On fait tomber un tabou.
Tout ça pour ça? “Ce n’est pas une réforme, mais un accommodement, estime l’économiste Bruno Colmant. Cela me fait penser à ce que disait Talleyrand à la mort de Napoléon, en 1821: ‘Ce n’est même pas un événement, c’est un fait’. On ne pourrait pas être plus cruel.” Pauvre Vivaldi et pauvre Belgique!
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