Quelques mois après la crise de 2008, tous les gouvernements, et les citoyens, qui étaient montés sur le pont pour aider un système financier qui prenait l’eau de toute part avaient clamé d’une seule voix : “Plus jamais ça !” C’était naïf, bien sûr : le système financier, instable par nature, ne sera jamais immunisé contre les crises. Mais cette promesse partait d’une bonne intention : plus jamais on ne forcera les contribuables à dépenser des centaines de milliards pour sauver le système financier. Pendant quelques années, on a agi : on a renforcé le capital des banques, renforcé leur contrôle des risques, renforcé la supervision, renforcé la réglementation… Et on a dit que désormais, lors d’un futur choc majeur, ce sont les investisseurs privés qui assumeront les pertes.
Pourtant, on le voit dans notre dossier, le temps des grandes turbulences revient. Beaucoup d’économistes et d’observateurs sont inquiets. Le spectre d’une crise obligataire majeure se rapproche. “C’est un gros problème. C’est un vrai problème. […] Je ne sais pas si c’est dans six mois ou dans six ans, [mais] le marché obligataire va avoir des difficultés lorsque les investisseurs se rendront compte que la dette américaine est intenable”, avertissait voici quelques jours le plus grand banquier de la planète, Jamie Dimon, le patron de JPMorgan Chase, une banque dont les actifs dépassent 4.000 milliards de dollars.
Si vous parlez à un banquier aujourd’hui, il ne cachera pas, entre quatre yeux, que oui, le monde est particulièrement dangereux et instable. Mais notre banquier ajoutera qu’il n’y peut rien, et que tant que l’orchestre joue, il continuera à danser. Pour l’instant, en effet, la musique est plutôt entraînante. Les marchés boursiers reprennent des couleurs et les banques sont particulièrement en forme parce qu’elles se retrouvent dans une configuration dont elles raffolent : le regain de craintes d’inflation aux États-Unis fait monter les taux à long terme, alors que l’entrée probable de l’économie américaine en récession devrait faire baisser les taux directeurs de la Fed.
“Les contribuables, qui ont déjà payé un lourd tribut en 2008, ne semblent plus prêts, aujourd’hui, à consentir à nouveau un tel effort.”
Le cœur du problème, d’ailleurs, n’est pas dans le système bancaire. Il réside aujourd’hui dans la notion même de risque, que l’on ne sait plus très bien définir. Avant, l’investissement sans risque, c’était les emprunts des États-Unis. Aujourd’hui, c’est moins sûr : le président Donald Trump semble avoir cassé la dynamique économique du pays et, plus grave, ébranlé la crédibilité du crédit américain, premier domino qui pourrait faire tomber tous les autres. L’agence Moody’s a dégradé la note financière américaine. Le Japon, grand détenteur d’obligations du Trésor américain, éprouve déjà des problèmes à refinancer sa dette et pourrait être obligé de revendre une partie de ses obligations américaines. Un scénario similaire pourrait se produire en Chine et en Europe, des régions qui, elles aussi, ont des problèmes internes à résoudre et pourraient vendre leurs titres américains, avec des conséquences en cascade.
Moins de 20 ans après la crise de 2008, “Plus jamais ça !” ne résonne plus comme un écho si lointain. Le système financier mondial joue à nouveau avec le feu. Les gouvernements, appelés à garantir la solidité de l’économie, se trouvent face à un défi de taille : anticiper et atténuer les répercussions d’une crise hautement probable. Cela devrait les inciter à mettre les bouchées doubles, au niveau européen (pour achever un vrai marché des capitaux et un vrai système de paiement), et au niveau belge (pour travailler à la résilience de l’économie). Car les contribuables, qui ont déjà payé un lourd tribut en 2008, ne semblent plus prêts, aujourd’hui, à consentir à nouveau un tel effort.