Olivier Mouton
Libérez les agriculteurs !
Le malaise des agriculteurs a explosé dans les rues en France, puis en Wallonie. “La colère a des racines profondes”, nous disent ces acteurs dans ce numéro. “Nous avons l’impression d’être écrasés par un rouleau compresseur”, clame Marianne Streel, présidente de la Fédération wallonne de l’agriculture. Le secteur primaire se rebelle et rappelle à notre bon souvenir qu’il est le plus vital d’entre tous. Répondre à ce signal d’alarme multiforme nécessitera de simplifier la bureaucratie européenne, de reconsidérer ces acteurs de la terre et de changer nos comportements de consommateurs.
La nouvelle version de la Politique agricole commune (PAC) liée au Green Deal, avec ses contraintes environnementales, fut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Le malaise, pluriel, est dû à une transition verte “trop rapide”, une indigestion de paperasses en plus du labeur quotidien et des obligations qui vont à l’encontre d’une gestion des fermes en bon père de famille. La proximité des élections européennes, en juin, explique l’ampleur de la grogne. Mais ce mouvement est aussi la conséquence d’un univers économique qui tourne carré, entre bureaucratie, inadéquation au changement climatique, pression de la grande distribution et… nos comportements inconséquents.
Avant tout, il est grand temps de libérer nos agriculteurs. Cédric Delveaux, agriculteur dans le Brabant wallon, clame, dans notre article, sa volonté de retrouver sa “liberté d’exploiter”. Il est frappant de voir combien ces passionnés ultimes mènent une vie de forçats malgré un contexte délétère. Tous se plaignent d’être ultra-contrôlés dans leur production, corsetés par des règles qui les empêchent de s’adapter à un climat devenu fou et prisonniers de textes rédigés dans des bureaux où l’on ne sait rien de leur vie. Il est essentiel de miser sur l’autonomie des acteurs et de simplifier radicalement le cadre. Nos politiques doivent miser sur les agriculteurs comme des acteurs du changement… s’il est encore temps, car ils sont nombreux à se détourner vers les partis populistes.
Répondre à ce signal d’alarme nécessitera de simplifier la bureaucratie européenne et de changer nos comportements de consommateurs.
Surtout, le paradoxe est glaçant. Les aides agricoles représentent un tiers du budget européen, soit quelque 270 milliards pour la période 2023-2027, dont 2,8 milliards pour la Belgique. Pourtant, de nombreux acteurs crèvent de misère, pris en tenailles entre une grande distribution qui compresse les prix et des fournisseurs qui répercutent allègrement l’inflation sur les tracteurs, l’engrais ou les bâtiments. Le modèle européen a soutenu une agriculture massive, industrielle, peu en phase avec les standards de qualité que l’on serait en droit d’attendre. Pire: on importe en masse des produits qui sapent nos propres standards. La Wallonie, qui tente de préserver une production de qualité, en paie le prix. Les agriculteurs souhaitent, à raison, que l’on adapte le système d’aides et de primes, pour permettre une rémunération juste.
Les consommateurs ont un rôle clé à jouer dans la révolution copernicienne qui s’impose. Le geste fondateur de l’agriculture, de ses vertus et de la capacité d’en vivre, cela reste notre acte d’achat. Sommes-nous prêts à payer plus cher pour un produit de qualité, bio ou local? Dans les mots, oui. Dans la réalité, la fin de mois l’emporte toujours sur la fin du monde. La crise de l’inflation a démontré le pouvoir des marques de distributeurs ou des superstars industrielles. Au-delà des réglementations, nous avons toutes et tous la capacité de libérer les agriculteurs, de soutenir leur esprit d’entreprise et leurs efforts pour le climat. En avons-nous vraiment l’envie ou la capacité?
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