Dans le club house de son golf écossais, Donald Trump a scellé avec Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, ce qu’on nous vend comme l’accord commercial du siècle. Un accord qui n’est encore que de principe et qui, pour reprendre les termes de la Commission, est “synonyme de stabilité et de prévisibilité pour les citoyens et les entreprises des deux côtés de l’Atlantique”.
Les États-Unis imposeront donc des droits de douane de 15% sur la plupart des exportations européennes, tandis que l’Europe s’engage à acheter pour 750 milliards d’euros d’énergie américaine sur trois ans – un montant tellement colossal qu’il signifie que nous serons monodépendants des États-Unis pour l’énergie, alors que le deal ne dit rien du prix auquel les USA vont nous livrer leur pétrole et leur gaz. Ajoutez à cela 600 milliards d’investissements promis au pays de l’Oncle Sam et un engagement à lui acheter plus d’armes. Cet accord est mauvais, et tout le monde le sait.
Il est certes mauvais pour les États-Unis, où les études montrent que 80% du choc des droits de douane retomberont sur les consommateurs et les entreprises du pays. Mais il est surtout exécrable pour l’Europe. Les tarifs douaniers nous coûteront entre 0,7 et 1% de croissance, dans un contexte mondial où le protectionnisme gagne du terrain et où la faiblesse du dollar handicape déjà nos exportateurs. Tout ça pour quoi ? Pour renflouer le Trésor américain et obtenir une “stabilité” et une “prévisibilité” qui, vu le style de gouvernance chaotique de Donald Trump, sont un vœu pieux.
Alors, pourquoi l’Europe a-t-elle signé un tel marché de dupes ? Par peur, donc par faiblesse. Faiblesse politique, d’abord. Ursula von der Leyen a négocié les mains liées dans le dos, car l’Allemagne et l’Italie étaient terrifiées à l’idée d’une confrontation directe avec les États-Unis qui aurait été dommageable à leur industrie. La Belgique, avec son importante industrie pharmaceutique, se trouvait aussi dans le cas.
La peur est compréhensible : les gouvernements de nombreux pays évoluent en équilibre précaire. Un récent sondage dans sept grands pays de l’UE montre que seulement 36% des citoyens soutiennent fermement les principes démocratiques – le droit de vote, les contre-pouvoirs institutionnels. Près des deux tiers sont prêts à accepter un leader autoritaire. Les gouvernements européens préfèrent donc céder aux exigences américaines plutôt que prendre le risque d’un conflit.
“Avec cet accord, Donald Trump s’est donné un outil extrêmement puissant pour influer grandement sur notre politique économique.”
Cette faiblesse politique se double d’une faiblesse financière. Le budget de l’UE, en discussion pour les sept prochaines années, représente à peine 1,2% du PIB combiné des États membres. C’est moins que celui de la période qui se termine. Comment prétendre peser sur la scène mondiale avec si peu, alors que l’économie européenne traîne des pieds dans les domaines clés comme la technologie, l’énergie, le numérique ?
L’Europe a beau se gargariser de la force de son marché de 450 millions de consommateurs et clamer, comme la Commission européenne dans son communiqué, que, avec les États-Unis, “nous représentons un marché de 800 millions de personnes et près de 44% du PIB mondial”, la vérité est différente : géopolitiquement, nous ne pesons pas grand-chose. Donald Trump, en brillant stratège du chaos, a fait brutalement redescendre le Vieux Continent de son nuage. Et le pire est, qu’avec cet accord, il s’est donné un outil extrêmement puissant – une combinaison de fournitures d’énergie, d’armes, de technologies, de matières premières – pour influer grandement sur notre politique économique. Et ceux qui croient que ceci n’est qu’un épisode qui se terminera avec le mandat du président américain actuel sont des grands naïfs.