Pierre-Henri Thomas

Le bitcoin et le canari dans la mine

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Au moment où nous écrivons ces lignes, le bitcoin est à deux doigts de battre le record historique atteint en 2021 et donc, de dépasser les 68.000 dollars. Certains s’interrogent : pourquoi ce “machin” bénéficie-t-il d’un tel engouement ? Le bitcoin, malgré ce qu’on a pu lire ici ou là, n’est pas une monnaie. Aucun des biens que vous convoitez, que ce soit un logement, un ordinateur ou une botte de poireaux sur l’étal du maraîcher, n’affiche son prix en bitcoin. Ce n’est pas non plus un moyen de paiement car à quelques infimes exceptions près, il est impossible de se payer un café en crypto. Et ce n’est pas davantage un instrument de thésaurisation : il n’est pas assez liquide ni assez stable pour cela.

Certes, certains “actifs”, comme l’or, ne sont pas non plus des monnaies (essayez de payer votre maison en pièces d’or). Et certes, le bitcoin sert d’actif alternatif, au même titre que les voitures vintage ou les bouteilles de grands vins. La plus célèbre des cryptos, grâce à sa rareté et à l’engouement médiatique dont elle fait l’objet, s’est donc muée en une sorte de lingot numérique. Un rôle facilité par l’aisance avec laquelle, depuis quelques semaines, elle est accessible, pour les épargnants américains du moins, via de simples fonds de placement cotés (les ETF).

Le cycle, porteur depuis 30 ans, est en train de se clore.

Le marché du bitcoin dépasse désormais les 1.000 milliards d’euros. Si l’on compare ce chiffre au poids des actifs classiques – les actions et les obligations – qui, eux, remplissent un rôle économique, c’est encore très peu. La capitalisation boursière mondiale avoisinerait les 100.000 milliards de dollars et le marché obligataire mondial, les 140.000 milliards. Le bitcoin ne joue pas dans la même division. Il a pourtant un intérêt majeur : celui d’être un signal d’alarme, un canari dans la mine de charbon.

La mine de charbon, ce sont les marchés financiers. Les actions offrent depuis 2010 des rendements impressionnants : l’indice S&P 500, qui regroupe les 500 principales entreprises américaines, a procuré 10% par an en moyenne. La performance repose sur la formidable croissance des bénéfices des entreprises. On pense aux exploits de quelques géants mais dans l’ensemble, la croissance réelle des bénéfices nets des entreprises américaines a été de 4% par an entre 1989 et 2019, contre seulement 2% entre 1969 et 1989, rappelle The Economist. La raison de cette surperformance des 30 dernières années tient à deux éléments relativement triviaux, explique l’hebdomadaire : la baisse du taux de l’impôt des sociétés et la politique des banques centrales (baisse des taux et émission de monnaie).

La formidable croissance du marché obligataire mondial a elle aussi reposé sur ces deux moteurs, qui ont permis aux Etats mais également aux entreprises de s’endetter davantage. Or le marché ne tourne plus aussi efficacement qu’avant. Les taux ont remonté avec la crise de l’énergie et la guerre en Ukraine. Et il est à craindre que les besoins financiers, pour affronter les défis de la transition énergétique, de la digitalisation et de la nouvelle situation géopolitique, ne provoquent un réveil de la fiscalité et ne rendent l’argent moins bon marché.

Avec des obligations devenues plus risquées en raison de l’évolution désormais incertaine des taux et avec une Bourse qui paraît avoir consommé une grande partie du carburant qui l’a fait s’envoler, les investisseurs semblent avoir passé leur âge d’or. S’il est un message que délivre le bitcoin, c’est celui-là : le cycle, porteur depuis 30 ans, est en train de se clore.

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