Pierre-Henri Thomas
La confiance perdue des professionnels du chiffre
Depuis des années et des années, les relations entre les contribuables et l’administration fiscale se dégradent. Mais là, on est presqu’arrivé à un point de non-retour, avec cette menace de grève brandie par l’Ordre des experts-comptables et comptables brevetés de Belgique. Ils annoncent qu’ils se croiseront les bras et ne rempliront plus les déclarations TVA si jamais le prochain gouvernement ne prend pas véritablement à bras-le-corps les problèmes, très profonds, qui minent leurs relations avec l’administration fiscale. Ce serait une première. Jamais les comptables ou experts-comptables n’avaient, jusqu’à présent, agité le spectre d’une grève de la collecte d’impôt.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est l’inaccessibilité, une fois encore, des plateformes informatiques du fisc (Tax-on-web, Biztax, MyMinfin…), à un moment traditionnellement critique. L’automne est en effet une période particulièrement stressante pour la profession, car c’est le moment des rentrées de déclarations à l’Isoc, des déclarations pour les revenus spécifiques (les revenus des dirigeants de société, etc.), sans compter les déclarations mensuelles ou trimestrielles de TVA.
Interpellé au parlement, le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, a expliqué que ces pannes étaient dues aux cyberattaques en provenance de Russie qui se sont abattues ces dernières semaines sur plusieurs sites officiels belges. Et puis, il y est allé d’un souhait général, soulignant l’importance “que l’administration trouve un bon équilibre entre un suivi équitable d’une déclaration correcte et ponctuelle et la flexibilité envers les contribuables et les professions du chiffre”. Et d’ajouter qu’à la suite de ces connexions déficientes, les délais pour les déclarations à l’IPP pour les revenus spécifiques ont été reportés au 14 novembre. Mais cela ne règle pas le fond du problème.
Au moment où il faut redresser les finances publiques, le consentement à l’impôt est primordial.
Le fond du problème, c’est que ces pannes informatiques s’échelonnent depuis une vingtaine d’années, et que visiblement, les professionnels ne perçoivent aucune amélioration. Le fond du problème, c’est aussi la complexification de nos textes fiscaux qui rend la vue impossible aux gens du chiffre et qui pèse sur l’attractivité de la profession, qui a du mal à recruter. Le fond du problème, c’est enfin la rigidité et la déshumanisation d’une administration qui n’admet plus aucune erreur et ne reconnaît plus la bonne foi du contribuable, alors qu’il est de plus en plus difficile de toucher directement le fonctionnaire qui s’occupe d’un dossier spécifique.
Avec des conséquences irréversibles. Un fiscaliste observait dans nos colonnes qu’une déclaration qui n’a que quelques jours de retard pouvait entraîner la faillite d’une entreprise, parce que l’administration remettait alors ses pertes en question. “Les pertes ne sont pas perdues, elles sont reportées l’année suivante. Mais comme l’entreprise doit payer l’impôt immédiatement, sans compter les amendes et les accroissements, elle se retrouve par terre”.
Le sujet nous concerne tous, contribuables et citoyens, car au moment où il faut redresser les finances publiques tout en préservant le ciment social, le consentement à l’impôt est primordial. Mais si ceux qui sont mis à contribution, essentiellement la classe moyenne, et ceux qui constituent un rouage essentiel du système de perception, les experts-comptables et fiscaux, perdent confiance dans l’administration fiscale. Cela devient très grave. Oui, il faut restaurer un minimum de confiance entre le fisc et les administrés. Et oui, cela doit passer par une profonde réforme de l’administration par le prochain gouvernement. C’est une urgence absolue.
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