Pierre-Henri Thomas

Justice en déroute : la Belgique dans l’impasse depuis deux décennies

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Le plan d’informatisation de la justice a été lancé voici plus de 20 ans, et l’on en est toujours aujourd’hui à regretter de ne pas retrouver un dossier dans l’armoire.

Après les tueurs du Brabant, l’affaire Dutroux, les attentats du 22 mars 2016 et celui du 16 octobre dernier, la réaction politique, alimentée par l’effarement de citoyens témoins ahuris devant la déliquescence de l’appareil judiciaire, a toujours été la même. Plus jamais ça ! En 2016, les autorités belges avaient été averties de la dangerosité d’un ressortissant turc, sans que cela ne suscite de réaction chez nous. En 2022, les autorités tunisiennes avaient dûment demandé à notre pays l’extradition d’Abdesalem Lassoued, mais le dossier s’était “perdu dans une armoire”… Le problème serait-il circonscris à la distraction d’un attaché militaire en Turquie ou d’un magistrat à Bruxelles? Malheureusement non.

La semaine dernière, le gouvernement a décidé de s’attacher à remplir les effectifs du parquet de Bruxelles (en théorie, il devrait compter 119 personnes ; en réalité, il y en a 95 environ sur pied), de le compléter par cinq magistrats supplémentaires et de s’attacher enfin, après neuf années d’incertitudes juridiques, à nommer “prochainement” un procureur du Roi à Bruxelles. Les effectifs de la police judiciaire de Bruxelles accueilleront 50 personnes de plus et “un plan sera mis en place pour encore renforcer la numérisation de nos services de sécurité”.

Les cendres de Phénix

Peut-on croire un instant que ces réponses seront suffisantes? Un petit rappel pour les oublieux. Le plan d’informatisation de la justice baptisé Phénix a été lancé en 2001, voici plus de 20 ans, et l’on en est toujours aujourd’hui à regretter de ne pas retrouver un dossier dans l’armoire. Le plan de renforcement du cadre de la justice bruxelloise a été décidé il y a plus de 10 ans, lors de la scission de l’arrondissement judiciaire Bruxelles-Hal-Vilvorde. Mais dans la réalité, il ne fonctionne qu’à 80% de ses effectifs.

On dira que c’est par manque de moyens? Pas seulement. C’est aussi un manque de volonté à tous les étages. On retrouve en effet les mêmes “lâcher-prises” coupables en amont. La police ferme désormais les yeux sur un grand nombre de petits larcins commis sans violence. Un comportement justifié dès lors que le procureur du Roi Tim de Wolf avait écrit au printemps dernier au chef de corps de la police de Bruxelles Michel Goovaerts que le parquet ne poursuivait plus les délits jugés mineurs en raison d’une grave crise de personnel.

Interrogé la semaine dernière sur LN24, Luc Hennart, président honoraire du tribunal de première instance de Bruxelles disait, dans le style qui est le sien, que tout cela était de la poudre aux yeux. A quoi cela sert-il d’élargir le cadre de la magistrature si celui-ci n’est pas rempli? A quoi cela sert-il de dire que l’on renforce les moyens de la justice alors que parallèlement, le ministre de la Justice et le collège des cours et tribunaux planchent sur les moyens de diminuer la charge de travail? Luc Hennart estimait que tout cela avait le “parfum de la justice”, mais pas beaucoup plus. Une justice “Canada Dry”, en somme.

A propos de Canada, on racontera pour terminer la mésaventure, publiée sur X/Twitter, d’un Canadien qui s’était fait voler à Bruxelles son téléphone, son PC et des documents essentiels alors qu’il allait prendre son avion de retour vers Montréal. Le smartphone ayant gardé sa géolocalisation, on savait pertinemment bien où se trouvait le butin, mais la police refusait d’intervenir alléguant un “manque de preuves”. La victime s’est résolue à faire le travail d’enquête toute seule pour que, finalement, une descente de police tombe sur tout un réseau de trafic d’objets volés et arrête un homme “dangereux”.

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