Pierre-Henri Thomas

Gardons la tête froide face aux tarifs douaniers américains

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Comme l’a dit un jour Warren Buffett, imposer des tarifs est un acte de guerre. Et quand un pays reçoit une déclaration de guerre, il a, la plupart du temps, envie de répliquer dans la seconde. Depuis le Liberation Dayqui a vu les États-Unis appliquer des droits de douane à presque tout le monde, jusqu’aux pauvres manchots des îles McDonald, les partenaires commerciaux des États-Unis, qui ont reçu cette gifle, ont donc le plat de la main qui les démange. La Chine, qui voit dans ce chaos une belle opportunité pour pousser son agenda diplomatique et économique, vient d’ailleurs de renvoyer le soufflet en appliquant aux biens et services américains des tarifs douaniers supplémentaires de 34%, soit le même taux infligé par les États-Unis aux produits chinois. L’escalade a continué, et aujourd’hui, après l’annonce surprise de ce 9 avril,  nous en sommes à 125% de droits de douane sur les produits chinois, alors que la Chine semble prête à poursuivre ce petit jeu.

Mais l’Union européenne n’a pas le même agenda. Avant d’aller au conflit, on ne peut que lui suggérer de prendre le temps de réfléchir, et de se demander de manière très froide et dépassionnée comment réagir, surtout en ce moment où l’administration américaine a donné un suris de 90 jours à ses partenaires autres que chinois.

Un premier conseil est de laisser couler un peu d’eau sous les ponts, de ne rien faire dans la précipitation. Il faut laisser passer quelques semaines afin de montrer aux Américains que leur économie est bien plus sensible que la nôtre aux mesures prises par leur président. La chute de la consommation et des investissements que l’on aperçoit déjà dans les statistiques prendra de l’ampleur. La volte-face de Donald Trump après la chute des marchés s’explique, au moins partiellement, par le fait que les turbulences devenaient vraiment trop fortes et commençaient à toucher la dette américaine. Si l’Europe reste posée, les Américains ne pourront pas la blâmer l’Europe du malheur qu’ils se sont infligés à eux-mêmes. Cela laissera aussi le temps à l’opposition interne de s’organiser. Certaines voix, à la Maison Blanche, se prononcent déjà en sourdine contre cette guerre commerciale. Du côté de Wall Street, certains milliardaires, qui voient leurs fortunes être ébranlées, commencent à la trouver mauvaise. Et du côté de Main Street, les protestations contre la politique du président américain prennent de l’ampleur.

Du côté de Wall Street, certains milliardaires commencent à la trouver mauvaise. Et du côté de Main Street, les protestations prennent de l’ampleur…

Ensuite, tout en continuant à proposer aux États-Unis un accord commercial, il faut les avertir: s’ils maintiennent leurs tarifs douaniers, la réponse européenne risque d’être “très agressive” pour reprendre les mots de certains diplomates du Berlaymont. Si l’Union, comme elle a commencé à le faire cette semaine, continue à dresser un calendrier précis avertissant les Américains de ce qui les attend, à la fois du côté des tarifs, mais aussi du côté réglementaire, il se pourrait que l’on trouve dans les couloirs de la Maison Blanche un véritable économiste qui puisse expliquer l’impact de telles mesures de rétorsion. Les premières cibles seraient les grandes plateformes numériques et des entreprises de services, car dans les services, les États-Unis bénéficient d’un important surplus commercial vis-à-vis de l’Europe.

Et puis, il est temps de tirer la leçon de cette démondialisation partielle, avec un commerce international dans lequel un partenaire important, les États-Unis, a perdu une bonne partie de sa fiabilité. Le sursis de 90 jour accordé par les Etats-Unis ne change rien sur le fond du problème : on sait que cette administration américaine table sur les droits de douane pour baisser les impôts.

La réponse européenne à cette démondialisation forcée devrait passer par une politique d’harmonisation du grand marché et une politique d’investissement bien plus volontaristes. L’Allemagne vient de donner le “la”. Et cela devrait passer aussi par rebâtir un modèle dans lequel l’économie européenne sera partiellement “dérisquée” des États-Unis. La Chine l’a fait, elle qui, petit à petit, a réduit son exposition aux obligations du Trésor américain, a diversifié sa clientèle (en Asie du Sud-Est, en Afrique, en Europe) et travaille à un système de paiement qui évitera le dollar.

L’Europe a énormément de retard de ce point de vue, mais lorsque l’on entend la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, conseiller aux Européens de mettre en place des systèmes de paiement européens alternatifs aux systèmes américains (Visa, PayPal, Mastercard, etc.), “juste au cas où”, on se dit que le monde a vraiment changé.

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