Pierre-Henri Thomas

Euroclear, notre nouveau Dexia?

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Comparer Euroclear à Dexia, c’est à première vue idiot, tant Euroclear, ce mastodonte des services financiers, affiche une santé insolente – 845 millions d’euros de bénéfices nets sur les neuf premiers mois de l’année – alors que Dexia, ce géant aux pieds d’argile, s’est effondré sous le poids de son bilan mal ficelé de 600 milliards d’euros et reste encore aujourd’hui sous perfusion, le temps de son extinction, pour éviter de provoquer un dernier désastre.

Pourtant, un spectre commun hante ces deux entités : le risque qu’elles font peser sur le contribuable en cas de défaillance. Le danger, quand Dexia a vacillé en 2008 puis 2011, c’était que l’État doive porter à bout de bras un bilan de 600 milliards d’euros (sans compter les produits dérivés), bien trop lourd pour lui. Le danger, pour Euroclear aujourd’hui, ce sont ces 193 milliards d’euros d’actifs russes gelés dans son bilan, conséquence des sanctions occidentales contre Moscou.

L’Europe, Commission en tête, salive à l’idée de saisir ces fonds pour garantir un emprunt de 140 milliards destiné à l’Ukraine. Une idée séduisante mais qui place la Belgique, où Euroclear est basée, dans une position intenable. Bart De Wever, soutenu timidement par la présidente de la BCE Christine Lagarde et le Premier ministre luxembourgeois Luc Frieden, s’oppose à cette saisie tant que trois conditions ne sont pas réunies. À savoir que les États européens s’engagent solidairement aux côtés de la Belgique à assumer les risques ; qu’ils s’engagent aussi à rembourser la Russie le cas échéant ; et que les autres pays qui détiennent des avoirs russes immobilisés (le Luxembourg, l’Allemagne, la France…) les saisissent aussi, si saisie il doit y avoir. Mais le risque lié à ce mécanisme est tellement réel qu’aucun autre État membre n’a voulu jusqu’à présent se montrer solidaire et que le dossier a été reporté en décembre.

Les exigences de Bart de Wever sont logiques : sans base légale solide, la Russie pourrait exiger réparation, visant en premier lieu Euroclear et le pays. Une facture de 193 milliards, soit 28.000 euros par contribuable belge, serait tout bonnement impayable, cela sans compter les impacts économiques indirects, à la fois de réputation pour notre place financière qui se retrouverait ravalée au rang des parias, indignes de confiance, avec toutes les conséquences pour l’activité des banques, des assurances, d’Euroclear ou de Swift. Certes, il y a toujours un prix à payer lorsqu’une guerre se déclare mais, ici, la facture pour la Belgique paraît démesurée par rapport aux autres États membres.

“Le risque lié à une saisie est tellement réel qu’aucun autre État membre n’a voulu jusqu’à présent se montrer solidaire de la Belgique.”

Aussi, quand le président du PS Paul Magnette dépeint Bart De Wever en “nouvel Orban”, estimant que le blocage de la saisie des avoirs russes est “une honte de plus pour la Belgique sur la scène internationale”, on a envie de lui dire qu’il y a un temps pour tout, et qu’aujourd’hui, le moment n’est pas aux jeux politiciens. Car, faut-il le rappeler, Bart De Wever n’est pas opposé à aider l’Ukraine. Sa position n’a rien d’une posture pro-russe : elle est dictée par une prudence élémentaire.

Le temps presse, c’est vrai. Avec des États-Unis désormais volages, l’Europe porte seule le fardeau de l’aide à l’Ukraine. Mais mobiliser les avoirs russes sans un fondement légal robuste, c’est jouer avec le feu. C’est dire en effet que la Belgique n’est pas un État de droit sur le plan international, et c’est faire du pays un paria pour les relations commerciales et les investissements futurs. Si l’Europe persiste à vouloir faire sauter la banque sans avoir auparavant construit un périmètre de sécurité, c’est le contribuable belge qui risque de devoir payer la facture.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire