Pierre-Henri Thomas
Et si, après les élections, on essayait un vrai gouvernement ?
S’il devait y avoir, aux prochains Jeux olympiques, une discipline s’appelant “gouverner en affaires courantes”, la médaille d’or serait belge, à tous les coups. Nous sommes depuis longtemps le pays champion de l’absence de gouvernement : nous l’avons expérimenté en 1978, 1987, 1991, 2007, 2010, 2014. Et surtout 2019 : le gouvernement suédois d’Alexander De Croo n’a vu le jour qu’en octobre 2020, soit 494 jours après les élections de mai 2019, record mondial d’absence de véritable gouvernement dans l’histoire politique de l’après-guerre.
Une telle constance dans la vacance du pouvoir mérite des éloges et on peut s’attendre, à l’issue des élections très compliquées de juin prochain, à une nouvelle tentative de record. Car cette année, l’épreuve sera particulièrement difficile : il s’agira, après le 9 juin, d’essayer de composer un gouvernement fédéral avec des partis traditionnels qui se réduisent comme peau de chagrin au profit d’extrêmes qui prennent de plus en plus de place (Vlaams Belang au Nord, PTB surtout au Sud mais aussi un peu au Nord).
Cela rendra la N-VA difficilement contournable. Son patron, Bart De Wever, le sait et il pose des ultimatums. Il veut un gouvernement fédéral associant la N-VA pour avoir une majorité en Flandre, il veut être Premier ministre et il veut diriger un cabinet de technocrates pour gouverner le pays, le temps de se mettre d’accord sur une nouvelle réforme de l’Etat. Alors, bien sûr, ce sont de postures politiques, mais Bart De Wever a raison sur un point : nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir un pays sans gouvernement pendant 500 jours.
Dans cette mer agitée, le pilotage automatique ne suffira pas. Nous aurons besoin d’un capitaine et d’un équipage.
Voici quelques années, l’absence de gouvernement n’était pas perçue comme très dommageable. Vous vous souvenez des regards médusés des observateurs étrangers en 2010-2011 quand notre pays, en affaires courantes, réussissait à contenir son déficit à 3% du PIB, à afficher une croissance de 2% supérieure à la moyenne européenne et à réduire le chômage. Cela nous a donné la fausse image que, de toute façon, tout roule tout seul.
Ce n’est malheureusement plus le cas. Comme le fait observer la patronne du Fonds monétaire international, Kristalina Georgieva, les trajectoires budgétaires de nombreux pays sont inquiétantes et le contexte géopolitique est explosif. En Europe, le chacun pour soi devient la règle. Le quotidien français L’Opinion note que 760 milliards d’aides d’Etat ont été exceptionnellement accordées entre mars 2022 et décembre 2023. Et sur ces montants, l’Allemagne représente 47%, la France 23% et l’Italie 8%. Est-ce qu’on peut encore appeler cela un marché unique ? Jan Jambon, le ministre- président flamand, s’étrangle à la vue de ces entreprises flamandes qui vont investir dans le nord de la France et il enrage de voir les grands projets industriels comme les usines de batteries préférer Dunkerque à Anvers.
On comprend mieux, alors, le message délivré par Pieter Timmermans, le président de la FEB, en ce début d’année : “Après le 9 juin, nous n’aurons pas le temps de nous disputer pendant des années sur qui gouverne avec qui ou s’il faut réformer l’Etat. Il faudra agir et prendre des réformes structurelles pour restaurer notre compétitivité”. Autrement dit, dans cette mer agitée, le pilotage automatique ne suffira pas. Nous aurons besoin d’un capitaine et d’un équipage. Et s’il est impossible politiquement de se mettre d’accord sur un programme politique, cela n’empêche pas, comme le propose Bart De Wever, de constituer un vrai gouvernement centré sur les problèmes socioéconomiques qui nous pendent au nez. z
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