Pierre-Henri Thomas
La Belgique est budgétairement comme une biche dans les phares d’un camion
Le discours du vice-président américain à Munich a laissé les Européens sur le flanc. J.D Vance a montré à la fois le peu de cas qu’il faisait de l’Otan, mais aussi l’écart qui désormais, en termes politiques, sépare les États-Unis de l’Europe. Les USA n’apparaissent plus comme un allié fiable. Ils sont devenus un adversaire, se rapprochant du Kremlin, lançant des revendications territoriales sur le Groenland, s’attaquant à la TVA et promouvant des partis ouvertement anti-européens. Gideon Rachman, du Financial Times, résume bien la tâche à venir : “L’Europe doit désormais entamer le douloureux processus de ‘de-risking’ de sa relation avec les États-Unis.”
Dans ce contexte chahuté, la bonne nouvelle est que nous avons enfin un gouvernement. La mauvaise est que nous resterons financièrement désarmés tant que nous n’aurons pas réussi à régler notre problème budgétaire. Pour remettre les finances publiques dans le droit chemin, l’Arizona table surtout sur des réformes dans les pensions et sur le marché du travail, qui devraient apporter des “effets retours”. Mais les objectifs fixés sont à ce point inatteignables – croit-on vraiment que nous allons pouvoir créer 500.000 emplois en quatre ans ? – que cette trajectoire budgétaire n’est pas crédible. “Franchement, si on regarde la déclaration gouvernementale, il n’est pas du tout clair que le déficit commencera à diminuer assez rapidement dans les années à venir”, soulignait le gouverneur de la Banque nationale, Pierre Wunsch, voici quelques jours.
L’équation se complique encore avec cette urgence de réduire le risque américain, et donc d’accroître notre budget de la défense. Or, le gouvernement, dans une tradition bien belge, a décidé de confier cette tâche à un véhicule ad hoc. Le Premier ministre, Bart De Wever, indique dans sa déclaration que “la plus grande partie du financement supplémentaire (du budget de la Défense, ndlr) se fera via un nouveau fonds de défense à mettre en place. Ce fonds est financé par la vente d’actifs, avec une première tranche avant le 31 décembre 2025.”
“Dans ce monde plus dangereux, nous avons besoin d’une liberté de mouvement financière dont nous ne disposons pas aujourd’hui.”
Créer un fonds théoriquement financé par des ventes d’actifs pour cacher un problème comme la poussière sous le tapis, ce n’est pas neuf. Le fonds pour le vieillissement était du même acabit, avec le résultat que l’on sait. Car on ne peut pas résoudre par d’hypothétiques actions “one shot” un problème de financement récurrent. Si l’on veut augmenter le budget de l’armée ne fût-ce que de 1% du PIB (ce qui ne sera pas suffisant), il faut trouver 6 milliards d’euros chaque année. Vendre Belfius, par exemple, ne servira donc qu’à combler le trou pendant un an, en se privant du revenu régulier des dividendes à venir.
La thématique des finances publiques n’est pas la plus porteuse pour captiver l’électeur. Mais elle est essentielle, pour deux raisons. La première est que pour éviter d’être dans le futur la cible des marchés, il convient de montrer à tous que nous avons le contrôle de nos finances. Ce n’est pas le cas aujourd’hui : alors que les dépenses exceptionnelles liées aux crises de l’énergie et du covid ont disparu, nous ne parvenons toujours pas à réduire le déficit public. Cela pourrait éveiller l’appétit de quelques spéculateurs.
Et puis, dans ce monde plus dangereux, nous avons besoin d’une liberté de mouvement financière dont nous ne disposons pas aujourd’hui. “Nous ne sommes plus capables de réorienter nos ressources vers de nouvelles priorités”, constatait cette semaine Pierre Wunsch, en présentant le rapport économique de la Banque nationale. Pour l’instant, nous sommes, budgétairement, comme une biche qui, dans la nuit, est aveuglée par les phares d’un camion qui fonce vers elle.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici