Rien n’est simple dans ce pays. Et quand on parle de finances publiques, c’est encore plus compliqué. La Cour des comptes a remis un rapport cinglant sur le budget fédéral. Elle ne croit pas que les 7,9 milliards d’euros d’”effets retour” annoncés par le gouvernement pour 2029 soient atteignables. Les chiffres gouvernementaux, estime-t-elle, risquent d’être “largement surévalués”. Les économistes le disent depuis des mois : les objectifs de l’Arizona sont illusoires. Pour atteindre un taux d’emploi de 80% dans cinq ans, il faudrait créer 550.000 emplois. Or le gouvernement Michel, entre 2014 et 2019, n’en a créé que 220.000, et encore, dans un contexte économique bien meilleur: il n’y avait alors ni guerre commerciale, ni guerre générale en Ukraine, et le taux de croissance était de 2% par an. Aujourd’hui, la Commission européenne, qui vient encore de revoir ses prévisions à la baisse, table sur 0,8%.
Tout cela, tout le monde le sait. Et le gouvernement le premier. Interrogé sur la VRT, le ministre du Budget, Vincent Van Peteghem, a affirmé qu’un budget comprend toujours une part d’imprévisibilité, semblant se résigner dès le départ à la fragilité des chiffres. Il a invoqué les aléas économiques et financiers pour expliquer les futurs dérapages. Ce budget a d’ailleurs été confectionné avant le “Liberation Day” de Donald Trump et avant la pression de l’Otan pour doper nos dépenses de défense. Selon les estimations mêmes du gouvernement, ces événements devraient accroître le déficit projeté de 0,7% du PIB.
Les économistes le disent depuis des mois : les objectifs de l’Arizona sont illusoires.
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Certes, la Belgique n’est pas la seule à éprouver des difficultés à maîtriser le char de ses finances publiques. Six autres pays, dont l’Italie, la France, la Pologne ou la Hongrie, ont été placés sous la procédure de déficit excessif par la Commission européenne. Mais de nombreux autres s’en sortent, et pas seulement au nord de l’Europe. On songe à l’Espagne, qui a ramené l’an dernier son déficit à 2,8% du PIB en affichant une croissance tonique de 3,2%. Et la Grèce peut se targuer d’un surplus budgétaire de 1,3% du PIB en 2024.
À quoi sert alors cette cathédrale budgétaire bancale, bâtie sur un marécage d’approximations ? Sans doute à apaiser les pressions politiques internes. On rassure par des annonces, même si on les sait intenables. Il y a cette complexité institutionnelle et ces coalitions improbables qui empêchent les grandes réformes structurelles (sur la fiscalité du travail, par exemple) et poussent au contraire à prendre des mesures inutiles, contre-productives, mais nécessaires pour contenter tel ou tel partenaire. De l’aveu même du ministre du Budget, le rendement de la taxe à venir sur les plus-values, mesure symbolique, risque d’être négatif. La taxe va donc coûter plus qu’elle ne rapportera…
Les contraintes internationales poussent aussi à cacher la réalité. Notre pays doit soumettre à l’Europe un plan de redressement en septembre, et d’ici là, il sera toujours temps d’amender le budget avec des mesures plus dures, mais imposées de l’extérieur. Entre-temps, le gouvernement cherche à projeter une image de responsabilité et de rigueur, pour conserver la confiance des marchés à défaut de celle des citoyens.
C’est donc à un petit jeu dangereux que se livre notre gouvernement, car si la crédibilité budgétaire du pays devait être attaquée, il faudrait en urgence prendre des mesures bien plus douloureuses que celles qui, de toute façon, devront être prises un jour. On a vu que même pour les États-Unis, sanctionnés voici quelques jours par Moody’s, les choses peuvent devenir rapidement compliquées, l’agence estimant que de 98% en 2024, la dette fédérale des USA pourrait atteindre 134% en 2035.