Olivier Mouton
bpost, modèle menacé et Belgique divisée
La situation de l’entreprise bpost est préoccupante. Son modèle mixte public-privé est à l’épreuve d’un marché ultra-concurrentiel, avec la distribution des colis en guise de planche de salut face à la disparition du courrier. Son environnement politique et syndical, par ailleurs, est le reflet d’une Belgique à la croisée des chemins, de plus en plus divisée entre Nord et Sud. Les mois à venir seront décisifs pour le modèle de l’entreprise… et pour le pays.
Un dossier miné a exacerbé la crise: la distribution des journaux et magazines, qui lui était jusqu’ici réservée. Suite aux soupçons de collusion entre l’entreprise et des éditeurs, le gouvernement fédéral a annoncé la suppression pure et simple des subsides publics. Un désastre social annoncé: bpost emploie 26.000 personnes et risquait d’en perdre environ 4.000. Alexander De Croo & Co ont revu leur copie, temporairement. En période de rigueur budgétaire, plus question, toutefois, de verser 175 millions par an pour ce “privilège”. Il faut trouver une solution nouvelle.
La poste, métaphore d’un pays coupé en deux? Pendant une semaine, fin avril, les syndicats ont mené une grève pour alerter sur l’avenir de l’emploi. Résultat : un mouvement surtout suivi… en Wallonie et à Bruxelles, nettement moins en Flandre. Et si une solution sur le fond été trouvée au nord du pays pour l’avenir de la distribution des journaux, avec un transfert progressif aux AMP, on refuse d’explorer cette piste en Belgique francophone. Où il n’y a toujours pas de fumée blanche. Bien sûr, il y a des différences objectives, dont la taille du territoire et le volume de journaux à distribuer. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il y a là un fossé culturel, préjudiciable. En Flandre, il est vrai, une concurrence privée existe déjà, mettant la pression sur la négociation.
L’entreprise doit certes gérer l’acquis, comme la distribution des journaux, mais elle doit surtout recréer sa croissance.
Tout doit être fait pour sauver la poste, mais comment? “Il faut éviter à tout prix un scénario à la Van Hool”, dit Petra De Sutter (Groen), ministre fédérale en charge des Entreprises publiques, en référence à la disparition de ce symbole flamand – preuve que l’inquiétude existe. Elle ajoute: “Réorganiser ou restructurer bpost, il faudra le faire.” Libéraux et nationalistes flamands évoquent, eux, une privatisation. Le modèle doit évoluer, c’est sûr, comme la gouvernance. Belfius prouve, avec ses bénéficies plantureux, qu’il est possible de se réinventer après avoir frôlé le pire.
Le nouveau CEO de bpost, Chris Peeters (ex-Elia), prend le taureau par les cornes et remodèle la stratégie. Sur le fil du rasoir: l’annonce du rachat du français Staci pour 1,3 milliard doit permettre à bpost de s’implanter sur un marché qui n’est pas encore assez exploité, celui des colis pour les entreprises. Une nécessité: chaque année, le nombre de lettres diminue de 10%. L’entreprise doit certes gérer l’acquis, comme la distribution des journaux, mais elle doit surtout recréer sa croissance. Mais certains s’interrogent, dans ce cas, si le prix payé n’est pas trop élevé.
Dans notre société dématérialisée, le passage du facteur est un rappel des temps lointains où le lien social était central. Les lettres manuscrites et la bonne odeur du journal sont les madeleines de Proust d’une époque parfois idéalisée. A l’heure des colis Shein et du retour d’une économie locale, bpost doit non seulement adapter son modèle, elle doit aussi préserver ce qui fait son âme: un lien privilégié avec les clients belges. En sachant que la Belgique, elle aussi, est une construction de plus en plus artificielle. C’est dire combien le défi est dantesque.
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