Pierre-Henri Thomas

Belfius n’est pas un simple actif à monétiser

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Faut-il vendre une partie de Belfius ? La question agite le microcosme bancaire et politique belge depuis des mois. Le gouvernement De Wever, ou du moins une partie de ses composantes (on sait que le MR voudrait d’abord fusionner la banque avec Ethias), semble décidé à trancher cet été. Mais le débat peine à s’affranchir des a priori idéologiques. Pourtant, le principe est clair : une vente ne peut se justifier que si elle sert à la fois l’intérêt des contribuables et des 3,8 millions de clients de Belfius, soit un Belge sur trois. Cela suppose au moins trois conditions.

Premièrement, aucun tabou idéologique ne doit prévaloir, ni pour ni contre. Deuxièmement, le prix doit être à la hauteur. Les valorisations évoquées ici ou là de 8 ou 9 milliards d’euros sont bien en deçà de la valeur comptable de Belfius, estimée à plus de 12 milliards. Et troisièmement, une cession partielle doit bénéficier à la banque et à ses clients. Cela implique de trouver un actionnaire stratégique – pas un simple investisseur financier, mais un acteur bancaire capable d’apporter expertise, marchés ou technologies pour soutenir le développement de Belfius.

Certains arguent que l’État n’a pas vocation à posséder une banque, invoquant une dispersion des moyens publics et une gouvernance étatique souvent décriée. L’argument n’est pas dénué de sens : en 2008, des États comme l’Irlande ou l’Autriche ont payé un lourd tribut pour renflouer des établissements aux abois. Mais à l’époque, la crise a secoué toutes les banques, publiques comme privées, et la mauvaise gouvernance n’était pas l’apanage du secteur public. Depuis, Belfius, tout comme Ethias, affiche des résultats remarquables et une gestion saine. Preuve que les institutions financières peuvent s’épanouir avec l’État pour actionnaire.

Un regard au-delà de nos frontières le confirme : la plupart des pays européens conservent un ancrage dans le secteur bancaire. Le Luxembourg maintient sa Caisse d’Épargne, la France contrôle diverses institutions (Bpifrance, CNP Assurances, la Banque Postale, la Caisse des Dépôts) et l’Allemagne s’appuie sur un réseau dense de Landesbanken, de Sparkassen et sur la puissante KfW. Pourquoi ? Pour conserver une concurrence entre modèles – coopératif, public, privé – où chaque acteur stimule les autres. Il n’y aurait donc rien d’indécent à ce que l’État conserve 100% de Belfius.

Car un mauvais choix pourrait fragiliser la banque et son modèle. Détenue à 100% par l’État, Belfius bénéficie en effet aujourd’hui d’un accès au financement à coût réduit. Si des investisseurs privés arrivent au capital, la banque, avec une structure désormais hybride (privée-publique), pourra-t-elle préserver cet avantage ? La question est cruciale, car une dégradation de sa note financière affecterait directement son business model et, par ricochet, ses clients.

“Si l’État veut maximiser la valeur de sa banque, il doit la gérer en bon père de famille, et non en prédateur avide de dividendes.”

Et puis, l’État actionnaire doit aussi se regarder dans le miroir : il a exigé cette année un dividende exceptionnel de 1 milliard d’euros, soit presque l’intégralité des bénéfices annuels de Belfius. Une telle ponction, si elle se répète, risque d’asphyxier l’institution, qui a besoin de capitaux pour financer sa croissance. L’agence de notation S&P a d’ailleurs mentionné le risque d’un État qui resterait trop gourmand à l’avenir. Si l’État veut maximiser la valeur de sa banque pour une éventuelle vente, il doit la gérer en bon père de famille, et non en prédateur avide de dividendes. Belfius n’est pas un simple actif à monétiser, c’est un outil stratégique au service de l’économie belge, qui doit continuer à pouvoir se développer.

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