Pierre-Henri Thomas

Aurons-nous assez d’électricité en 2035 ?

Pierre-Henri Thomas Journaliste

C’est un record dont on se serait bien passé. Pour le huitième mois consécutif, la hausse des prix dans notre pays dépasse celle de tous les autres pays de la zone euro. Entre novembre 2023 et novembre 2024, l’inflation en Belgique a augmenté de 5%, alors qu’elle se limitait à 2,2% en France et 3,1% en Allemagne. Une inflation portée par les prix des produits alimentaires (+ 6% en un an) et surtout, par les prix de l’énergie qui ont flambé de 16,5% en un an. Cela s’explique en partie par la disparition du forfait de base sur le gaz et l’électricité dont bénéficiaient les ménages, mais aussi, simplement, par la flambée du gaz. Et cela ne devrait pas s’arranger. Les contrats à terme en gaz naturel, sur le marché de référence néerlandais, sont passés de 31 euros/MWh en août, à près de 49 euros aujourd’hui.

On n’en sort pas : ce qui sape le dynamisme de notre économie, et plus spécialement de notre industrie, ce sont les prix de l’énergie trop élevés qui reflètent un manque de vision stratégique, ainsi qu’une politique de prébende mise en place depuis des décennies et qui fait que certains distributeurs, structurés en intercommunales, surtout en Wallonie, vivent très bien. Dans une Europe où les industries paient en moyenne leur électricité et leur gaz deux, trois, voire quatre fois plus cher qu’en Chine ou aux États-Unis, les entreprises wallonnes s’inquiètent naturellement de la situation. Un collectif regroupant les grandes fédérations patronales a publié une carte blanche, voici une dizaine de jours, dans laquelle il estime que le doublement des tarifs de transmission de l’électricité, décidé pour le mois de janvier prochain, devrait représenter une hausse de 6 euros par MWh sur la facture des entreprises.

“Si l’on veut avoir en suffisance une électricité décarbonée, relativement abordable, dans les 10 à 15 ans, on ne pourra pas se passer d’un nouveau parc nucléaire.”

Mais c’est sur le long terme que l’incurie politique se manifeste avec le plus d’acuité. On le sait et on le répète, nous n’avons toujours pas de plan énergétique crédible pour l’après 2035. Nous avons pu mettre une rustine, qui nous coûte cher, en signant avec Engie un contrat pour prolonger deux réacteurs pour 10 ans. Mais Engie a bien fait savoir qu’il n’irait pas au-delà.

Parallèlement, le renouvelable ne pourra pas satisfaire l’entièreté de la demande en énergie et ce mode de production demande de bâtir un autre réseau. Faut-il rappeler que l’île que construit Elia en mer du Nord, qui doit raccorder divers champs éoliens, voit déjà sa facture passer de 2,2 à 7 milliards et que cet investissement devrait représenter d’ici sept ou huit ans, 5 à 6 euros par MWh de plus sur la facture des clients. Cela commence à faire beaucoup.

Si l’on veut avoir en suffisance une électricité décarbonée, relativement abordable, dans les 10 à 15 ans, on ne pourra pas se passer d’un nouveau parc nucléaire. À l’agenda du nouveau gouvernement, il y a donc la décision de construire de nouvelles centrales, un investissement lourd qui s’étale sur une décennie. Cette décision, un ensemble de pays européens l’ont déjà prise (France, Pays-Bas, Pologne, Finlande, Suède, République tchèque, Royaume-Uni…). Nous savons donc que s’il y a un embouteillage chez les fournisseurs, nous ne serons pas prioritaires, et nous paierons plus cher. La pagaille créée par notre absence d’anticipation et de stratégie claire concernant notre politique énergétique nous coûte déjà beaucoup. Ce n’est pas une raison pour qu’elle coûte davantage encore. L’urgence de l’urgence du nouveau gouvernement, quel qu’il soit, sera donc de décider comment nous allons produire notre électricité dans 10 ans. Parce qu’aujourd’hui, on ne le sait toujours pas.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content