Pierre-Henri Thomas
Une Wallonie pleine d’ambitions
On a souvent parlé de ce paradoxe de la Wallonie, une région qui, d’un côté, affiche un PIB par habitant (30.700 euros) en dessous de la moyenne des 27 pays européens (35.500 euros) et qui souffre d’un taux d’emploi (68,1%) particulièrement bas mais qui, de l’autre, n’a pas à rougir en termes d’innovation, de création d’entreprises et d’ambition.
Des ambitions mondiales, comme l’ont montré plusieurs entreprises wallonnes ces derniers jours : IBA, par exemple, dont la joint-venture Pan Terra a récolté 93 millions d’euros pour développer la production d’une nouvelle génération de radio-isotope pour le traitement du cancer. I-care, le leader mondial dans la maintenance prédictive des lignes de production industrielles qui accumule ces dernières années des croissances de l’ordre de 30% par an, a annoncé sa prochaine entrée en Bourse. John Cockerill, modèle de reconversion industrielle, poursuit son développement dans la défense et l’hydrogène. Odoo devrait atteindre le milliard d’euros en chiffre d’affaires dans deux ans. Technord, Ecosteryl, le groupe carolo Lefort, leader européen des presses et cisailles industrielles, ou les laboratoires Tilman, Iscal, première sucrerie du monde à recevoir le label de durabilité B Corp… Impossible de citer toutes ces entreprises wallonnes qui tracent leur route avec détermination.
La plupart de ces développements remarquables ont été réalisés indépendamment de l’aide des pouvoirs publics. Si l’on excepte les dispositifs bien réels qui soutiennent le secteur biotech, les entrepreneurs wallons doivent se débattre bien souvent contre des vents contraires soufflés par la complexité administrative et une régulation contre-productive. On songe, au niveau fédéral, à la saga de la fiscalité sur les droits d’auteur, exemple même du “lose-lose deal” qui handicape sérieusement les concepteurs de logiciels sans vraiment enrichir l’État.
Trop souvent par le passé, à force de vouloir soutenir tout le monde, on n’a finalement aidé personne.
La chance pour cette Wallonie pleine d’ambition est d’avoir, depuis quelques semaines, un nouveau gouvernement relativement homogène qui, sur papier, du moins, apparaît business friendly. Mais ce gouvernement doit désormais le montrer et opérer des choix, au vu de ses moyens limités. Ce n’est pas gagné lorsqu’on lit la dernière déclaration de politique régionale, dans laquelle le gouvernement wallon affirme axer son soutien “à l’industrie dans des secteurs stratégiques clés” (matériaux circulaires, santé, conception et production agile, agroalimentaire, l’environnement, l’habitat, l’énergie), tout en voulant “capitaliser sur les secteurs dans lesquels la Wallonie est un acteur qui compte” (biotech, pharmacie, aéronautique, spatial, défense, (éco)construction, industrie manufacturière et extractive, etc.). Et cela tout en désirant également “développer et renforcer la position de la Wallonie dans d’autres secteurs stratégiques et prioritaires comme ceux des technologies de la transition environnementale, en ce compris le nucléaire et le traitement de ses déchets, les technologies de capture et stockage du carbone, l’hydrogène, et la cybersécurité”, et en ajoutant qu’une “attention particulière sera portée sur le développement des compétences en intelligence artificielle”…. N’en jetez plus.
Trop souvent par le passé, à force de vouloir soutenir tout le monde, on n’a finalement aidé personne, saupoudrant l’argent public ici et là. Aujourd’hui, à l’heure où l’on presse l’économie européenne de se réveiller, l’industrie wallonne a besoin d’une autre politique. Elle passe par deux principes : des aides circonscrites mais efficaces, et une simplification administrative, mesure qui, elle, ne coûte rien, mais rapporte beaucoup.
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