Bruno Colmant

Donald Trump, l’ombre d’un président du XIXe siècle et l’annexion du Groenland

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Donald Trump a fait installer dans le Bureau ovale le portrait de James K. Polk, le 11e président des États-Unis, un choix qui n’est pas anodin et qui en dit long sur ses aspirations. Ce geste symbolique, révélé peu après son retour au pouvoir en janvier 2025, semble refléter une volonté de s’inscrire dans une lignée de présidents expansionnistes, prêts à redessiner les contours de la puissance américaine, autant sur Terre que dans l’espace.

James K. Polk, président des États-Unis de 1845 à 1849, a marqué l’histoire par une expansion territoriale spectaculaire. Dès décembre 1845, il annexa le Texas, alors indépendant, provoquant des tensions immédiates avec le Mexique. Cette décision déclencha la guerre mexicano-américaine (1846-1848), qui se solda par le traité de Guadalupe Hidalgo en 1848. Ce traité permit aux États-Unis d’acquérir plus de 1,36 million de kilomètres carrés, incluant des territoires aussi stratégiques que la Californie, le Nevada, l’Arizona, le Nouveau-Mexique et l’Utah. Cette conquête coïncida avec la découverte d’or en Californie en 1848, déclenchant la ruée vers l’Ouest et renforçant l’élan économique et démographique du pays.

Destinée manifeste

Par ailleurs, en 1846, Polk négocia avec le Royaume-Uni le traité de l’Oregon, fixant la frontière au 49e parallèle et ajoutant l’Oregon, Washington et l’Idaho au territoire américain. En quatre ans seulement, il doubla presque la taille des États-Unis, transformant une nation encore jeune en une puissance continentale s’étendant d’océan en océan. Fidèle à sa promesse de ne briguer qu’un seul mandat, il quitta le pouvoir en 1849, épuisé par ses efforts, et mourut trois mois plus tard, laissant derrière lui un héritage territorial colossal qui façonne encore les États-Unis modernes.

Ce qui rend Polk fascinant, et pertinent pour comprendre Trump, c’est son attachement à la « Destinée manifeste » (Manifest Destiny), une idéologie née au XIXe siècle, particulièrement prégnante dans les années 1840. Cette doctrine affirmait que les Américains avaient une mission divine et historique d’étendre leur civilisation, leurs institutions démocratiques et leur mode de vie à travers le continent nord-américain, de l’Atlantique au Pacifique. Mêlant nationalisme exacerbé, un exceptionnalisme américain et une foi quasi religieuse, elle présentait cette expansion comme une obligation morale autant qu’une fatalité historique.

Pour les tenants de cette idée — popularisée par le journaliste John L. O’Sullivan en 1845 —, les États-Unis étaient prédestinés à dominer le continent, repoussant les populations autochtones, les puissances coloniales européennes et toute opposition au nom d’un progrès inéluctable. Sous Polk, cette vision s’est concrétisée par des annexions brutales, mais stratégiques, justifiées par l’idée que l’Amérique portait une lumière civilisatrice unique. Cette croyance n’était pas sans contradictions : elle masquait souvent des ambitions économiques (comme l’accès à l’or ou aux ports du Pacifique) et une politique impérialiste sous un vernis idéaliste.

Expansionnisme spatial?

Donald Trump, dans une réinterprétation audacieuse, semble vouloir raviver cette « Destinée manifeste » pour le XXIe siècle. Lors de son discours d’investiture le 20 janvier 2025, il a déclaré : « And we will pursue our Manifest Destiny into the stars, launching American astronauts to plant the Stars and Stripes on the planet Mars », avant d’ajouter : « The United States will once again consider itself a growing nation, one that increases our wealth, expands our territory, builds our cities ». Ces mots ne sont pas une simple rhétorique. Ils évoquent une vision où l’expansionnisme ne se limite plus au continent terrestre, mais s’étend à l’espace, avec Mars comme nouvel horizon symbolique. Sur Terre, Trump semble envisager une croissance territoriale plus concrète : on pense alors au Canada ou au Groenland, dont il avait déjà proposé l’achat en 2019, arguant de sa valeur stratégique et économique.

Mais là où Polk utilisait la guerre et la diplomatie pour agrandir les États-Unis, Trump pourrait s’appuyer sur des leviers économiques et politiques pour imposer une nouvelle ère d’expansion. Sa décision de suspendre le financement de l’OMC en 2024-2025, son projet de quitter des institutions multilatérales comme l’OMS, et les plaidoyers d’Elon Musk pour un retrait de l’ONU et de l’OTAN montrent une volonté de briser les chaînes de la coopération internationale, perçues comme des entraves à la souveraineté américaine. Cette posture rappelle la « Destinée manifeste » dans son rejet des limites imposées par les autres nations : pour Polk, c’était le Mexique et le Royaume-Uni ; pour Trump, ce sont les organisations globales et peut-être les voisins nordiques. Si Polk a doublé la taille du pays en annexant des terres riches en or, Trump pourrait chercher à sécuriser des ressources modernes — énergie, minerais rares, ou même l’espace — pour asseoir une suprématie économique et géopolitique.

L’ombre de Polk sur Trump n’est donc pas qu’un clin d’œil historique. Elle reflète une ambition de grandeur, une nostalgie d’une Amérique qui impose sa volonté au monde, portée par une foi inébranlable en sa mission. Mais là où la « Destinée manifeste » de Polk s’arrêtait aux rives du Pacifique, celle de Trump vise les étoiles — et peut-être les terres gelées du Nord —, dans une réinvention qui mêle passé et futur.

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