Pierre-Henri Thomas

Comment la Chine a tué Audi…. avec l’aide d’une politique européenne inconsciente

Pierre-Henri Thomas Journaliste

Ce que l’on craignait depuis des semaines a donc été annoncé en  ce début de vacances : Audi Bruxelles va engager une procédure … Renault et licencier immédiatement 1.400 travailleurs. La menace pèse toutefois sur l’entièreté du site et ses 3.000 employés, sans compter des milliers d’emplois de fournisseurs qui pourraient disparaître.

Le monde politique est en ébullition, car Audi Bruxelles restait un des rares témoins de l’époque où la Belgique assemblait des millions de véhicules : Ford, Opel, Renault, Van Hool…. Mais cette époque est révolue, pour deux grandes raisons.

Avantages comparatifs

La première est que nous avons perdu au fil du temps nos avantages comparatifs dans une série d’industries. La sidérurgie hier, l’automobile aujourd’hui. Notre productivité stagne, nos coûts salariaux augmentent, alors qu’ailleurs dans le monde, des pays, de la Chine à la  Slovaquie ont attiré des constructeurs parce que leur main d’œuvre est bon marché et leur infrastructure s’est améliorée. Ces pays offrent la même chose que la Belgique, pour moins cher. Dès lors, Van Holl est allé en Macédoine du Nord. En raison de la taille de l’usine, Audi Bruxelles avait hérité de l’assemblage d’un SUV électrique, la Q8 e-tron, qui n’avait aux yeux des clients européens pas un très bon rapport qualité-prix. Et alors qu’Audi va vraisemblablement fermer son usine de Forest, le groupe va investir 1 milliard d’euros pour l’électrification s-de son site de Puebla, au Mexique, où il produit déjà son modèle Q5.

Le mal est fait, et la bonne réaction pour le politique est sans doute d’accompagner à court terme ceux qui perdent leur emploi, mais sans s’acharner pour essayer de maintenir à flot des secteurs qui ne sont plus compétitifs. Il vaut mieux dépenser l’argent public à développer  de nouvelles activités à haute valeur ajoutée dans les secteurs où la Belgique a encore son mot à dire et aider des secteurs comme la chimie, la pharmacie, la défense ou l’aéronautique dans lesquels des groupes étrangers continuent à investir chez nous.

Une erreur européenne majeure

Une seconde raison, cependant, a précipité la fin d’Audi Bruxelles : c’est la politique européenne, rigide et mal pensée. En imposant un green deal mettant fin aux véhicules thermiques en 2035 sans anticiper les changements fondamentaux que cela allait provoquer pour une industrie déjà fragilisée, l’Europe n’a pas aidé, c’est un euphémisme, les constructeurs automobiles locaux. L’Europe, reine incontestée du moteur diesel, s’est tiré une balle dans le pied.

La Cour des Comptes européenne avait d’ailleurs été assez critique il y a quelques mois en pointant la double contrainte que cette réglementation imposait aux constructeurs. « L’interdiction des voitures à essence et diesel en 2035 signifie qu’il faudra vendre beaucoup plus de voitures électriques dans l’UE en un peu plus d‘une décennie, rappelait notre ancienne ministre de la Justice Annemie Turtleboom, membre de la Cour des comptes européenne. Mais les 27 Etats membres ont du mal à accélérer la transition vers les véhicules électriques. La route à venir est pleine de nids-de-poule. Comment le Green Deal peut-il satisfaire nos objectifs climatiques sans nuire à notre politique industrielle et sans augmenter les coûts pour les consommateurs européens en même temps ? »

Secteur non protégé

Audi Bruxelles montre qu’en effet, ce n’est pas possible. La transition rapide exigée par les instances bruxelloises profite avant tout aux constructeurs  américains et chinois qui, comme Tesla ou BYD, peuvent se concentrer uniquement sur les véhicules électriques. Ils bénéficient d’une série d’avantages comparatifs face auxquels il est difficile de se battre. Ainsi, BYD, pour inonder le marché européen, a annoncé la construction d’une usine en Turquie qui viendra renforcer celle que le groupe chinois possède déjà en Hongrie.

La Chine a sans doute précipité la chute d’Audi Bruxelles, mais la planche avait été savonnée au préalable par l’absence de politique industrielle intelligente au niveau de l‘Europe qui n’a pas vraiment protégé son secteur automobile. Un secteur qui emploie pourtant plus de dix millions de personnes.

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