Philippe Ledent

Voyage au centre de la dette

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

L’émission d’un bon d’Etat est une opération courante. Elle se pratique tous les trimestres depuis longtemps, sauf lorsque les taux étaient tellement bas que des bons d’Etat n’auraient intéressé aucun investisseur particulier. Tout ceci est plutôt banal. Et pourtant, depuis l’été dernier, l’émission de bons d’Etat est devenue un événement. Et à présent, c’est une vraie série !

La raison de l’émission de bons à court terme, avec ou sans précompte réduit, est connue : il s’agit d’influencer la rémunération de l’épargne des particuliers. Et il faut avouer que la lutte entre le gouvernement et les banques attire l’attention médiatique. Il ne se passe plus un jour sans un nouveau commentaire ou un décompte des montants déjà collectés.

Mais comme dans toute bonne série, il faut sans cesse de nouvelles intrigues. Dès lors, le débat a progressivement glissé vers l’intérêt financier d’une telle opération pour l’Etat. Le pour et le contre ont été décortiqués avec plus ou moins de détails et on ne compte plus les calculs de coin de table dans la presse. A les lire, il faut apparemment se réjouir du fait que, pour le moment, en choisissant soigneusement les bonnes hypothèses, il serait préférable que l’Etat emprunte à court terme auprès des particuliers plutôt que des institutionnels.

Il est étonnant de voir que la stratégie de gestion de la dette à court terme attire plus l’attention que le problème de la dette en lui-même.

Autant de considération pour les finances publiques avec un tel souci du détail est réjouissant. En effet, l’état de ces finances est tel que chaque million compte ! Il est pourtant étonnant de voir que la stratégie de gestion de la dette à court terme attire plus l’attention que le problème de la dette en lui-même. En effet, pendant que la saga du bon d’Etat tient le public en haleine, deux publications récentes n’ont pas reçu l’attention qu’elles méritaient.

D’une part, le Bureau fédéral du Plan a récemment publié ses prévisions de moyen terme pour l’économie belge. Elles sont édifiantes : selon la trajectoire de référence, le PIB belge devrait augmenter de l’ordre de 122 milliards d’euros entre 2023 et 2029. Puisque l’Etat ponctionne environ 50% du PIB, cela permettra d’augmenter les recettes publiques de 60 milliards d’euros environ. Mais dans le même temps, les dépenses publiques devraient augmenter de plus de 72 milliards d’euros, dont une petite moitié induite par les seules dépenses de pensions et de soins de santé. Dès lors, le déficit public devrait atteindre plus de 39 milliards d’euros en 2029, soit 5,6% du PIB attendu. La dette, que certains voyaient “fondre comme neige au soleil”, atteindrait alors 116,8% du PIB contre 105,2% en 2023.

D’autre part, dans ce contexte, un post sur le blog de la Banque nationale (que je vous recommande) intitulé Attention à la boule de neige ! nous rappelle les concepts de base d’un vieux démon des finances publiques belges : l’effet boule de neige. L’article de H. Godefroid et M. Deroose s’achève ainsi : “La conclusion est claire : même si le différentiel ‘intérêt-croissance’ se maintient en territoire négatif, il est nécessaire de réduire le déficit primaire afin d’inverser la tendance à la hausse du taux d’endettement belge”.

Espérons donc que lorsque toutes les intrigues possibles autour du bon d’Etat auront été épuisées, la saison 2 de la série des finances publiques tournera autour de la santé globale des finances publiques belges, des enjeux qu’elles représentent et des solutions à y apporter. Avec peut-être, rêvons un peu, un épisode consacré à l’effet d’éviction. Le grand oublié de la saison 1…

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