Paul Vacca

Vive la “shrinkflation”

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Il y a quelques semaines, une notion économique a soudainement connu son quart d’heure de gloire warholien dans les médias : la “shrinkflation”, ce mot-valise constitué du verbe “to shrink” (rétrécir) et du mot “inflation”. Dotée d’un nom aussi disgracieux, il y avait peu de chances que l’on se prosterne devant elle et l’appellation en français n’arrange rien : “réduflation” est tout aussi peu euphonique. Rien que sa sonorité vous donne des envies de la combattre. D’autant qu’elle désigne la pratique un peu sournoise qui consiste à “maintenir le prix d’un produit tout en réduisant sa quantité” souvent à l’insu du consommateur.

Pas étonnant que tous se soient élevés contre elle : les médias qui ont tiré à boulets rouges sur cette pratique, les grandes surfaces qui ont dénoncé cette duperie de la part des industriels et même le gouvernement français qui s’est érigé en chevalier blanc envisageant même d’interdire cette manœuvre. Tous unis contre ce fléau, alors ?

Non. Car il reste au moins un irréductible : le consultant en business, innovation et stratégie, Philippe Goetzmann. Seul contre tous (ou presque), il nous amène à comprendre différemment cette notion désignée à la vindicte populaire. Dans une publication sur le site de la Fondation Jean Jaurès intitulée La “shrinkflation”, ou l’impossible débat sur la baisse des volumes, l’expert en consommation se livre à une analyse nuancée et éclairée des enjeux de la “réduflation”.

Evidemment, si l’on peut déplorer le caractère parfois sournois de cette pratique comme manière de dissimuler des marges, est-il nécessaire d’en faire un tel épouvantail ? Selon Goetzmann, certai­nement pas. Car d’abord ce phénomène, présenté comme massif, n’est en réalité que marginal à l’échelle des références à la disposition des consommateurs : les cas relevés ne concernent au mieux que 0,3% de l’offre présente en magasin. Ensuite, parce que la “shrinkflation” ne constitue pas toujours un moyen dissimulé pour conforter ses marges : il peut notamment être l’effet col­latéral d’une innovation. Dans ce cas à travers la “shrinkflation”, on condamne aveuglément tout processus d’innovation qui se traduirait par une réduction de grammage ou de volume.

Où l’on voit qu’il est toujours plus facile et payant à court terme de caricaturer et de désigner des épouvantails.

Mais enfin et surtout, parce que, comme le démontre Philippe Goetzmann, s’y opposer indistinctement et par pur principe revient à enfermer le monde de la consommation dans le dogme du “toujours plus”. Une vision simpliste dommageable à l’heure où il nous faut repenser notre modèle économique et nos modes de consommation face aux défis écologiques à venir.

Selon le consultant, cette critique, qui consiste à préférer que l’inflation se fasse par la hausse des prix plutôt que par la baisse des grammages, est un contresens historique. Car la “shrinkflation” bien comprise pourrait nous permettre de trouver une voie conciliant deux impératifs contradictoi­res qui s’imposent à nous : comment faire face à la réduc­tion des volumes de consommation nécessaire et structurellement attendus tout en maintenant nos activités industrielles et nos emplois.


Goetzmann regrette que l’opposition pavlovienne à la “réduflation” enferme le débat dans une vision obsolète de la consommation comme pure transaction financière contre une quantité de matière et non plus largement comme une réponse à des besoins et un vecteur de transformation. Empêchant de fait des solutions d’émerger pour engager la transition écologique. Où l’on voit qu’il est toujours plus facile et payant à court terme de caricaturer et de désigner des épouvantails. Hélas, la paresse intellectuelle et la démagogie ne subissent pas de “shrinkflation”. z

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