Philippe Ledent

Unplug, baby, unplug !

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Même s’il ne marque pas un tournant dans la course à l’intelligence artificielle (IA), le sommet de Paris qui y était consacré a eu le mérite de remettre l’Europe dans la course (mais certainement pas en tête de peloton) au développement de cette révolution technologique. Ce sommet a par ailleurs mis le doigt sur un enjeu majeur : l’énergie. On le sait, l’utilisation de serveurs dédiés à l’IA demande beaucoup de ressources : de l’électricité et de l’eau (pour le refroidissement des serveurs). Sans compter évidemment toutes les matières premières nécessaires à la fabrication des composants électroniques.

La course à l’IA nous rappelle donc que le développement technologique est certes une formidable source de prospérité, mais qui passe souvent par une augmentation de la demande d’énergie. Or, davantage d’énergie a été jusqu’ici associé à davantage d’émissions de CO2, opposant croissance économique et lutte contre les changements climatiques.

Il n’y a pourtant pas de fatalité en la matière, et les innovations technologiques permettront de plus en plus de casser cette opposition. Pour sa part, la Belgique a désespérément cherché, au cours des 10 dernières années, un équilibre impossible entre

  • tenter de limiter la demande d’énergie,
  • promouvoir le chauffage électrique et l’électrification du parc automobile,
  • limiter la production nucléaire, fusse-t-elle décarbonée, et
  • développer les énergies renouvelables, ce qui a aussi nécessité des centrales au gaz qui, elles, le sont beaucoup moins.

Bref, alors que l’énergie est l’élément central sur lequel repose le développement économique, la politique énergétique de la Belgique fut tout sauf claire. Ce qui l’est par contre, c’est qu’en flirtant avec les théories décroissantistes pour lutter contre les émissions de CO2, nous n’avons certainement pas pris comme hypothèse une forte croissance de la demande d’énergie.

Si cette électricité est bientôt “réquisitionnée” pour alimenter les serveurs implantés en France, qu’en sera-t-il de sa disponibilité pour les pays voisins ?

Mais revenons-en au sommet sur l’IA, durant lequel le président français Emmanuel Macron a annoncé un plan d’investissement de 100 milliards d’euros dans le développement de serveurs en France. Pour faire de la France un pôle européen d’IA, il se repose sur la disponibilité massive d’énergie bas carbone au travers du parc nucléaire français. “Plug, baby, plug“, a-t-il lancé face au “Drill, baby, drill” de Donald Trump. Autrement dit : l’énergie nécessaire à l’IA est déjà disponible en France. Il est vrai que le pays a exporté en 2024 près de 90 Twh d’électricité, dont 30% vers l’Italie, 18% vers l’Allemagne et… 15% vers la Belgique. Il faut d’ailleurs noter qu’à lui seul, le surplus de production de la France aurait pu couvrir l’ensemble de la consommation électrique de la Belgique.

Mais si cette électricité est bientôt “réquisitionnée” pour alimenter les serveurs implantés en France, qu’en sera-t-il de la disponibilité d’énergie pour les pays voisins ? Ce n’est pas le problème de la France, me direz-vous. Mais cela deviendra très vite le nôtre, car nous en aurons besoin, faute d’avoir correctement estimé la croissance de la demande.

Dès lors, après tant d’errements, l’économie belge a besoin de se recentrer sur une politique énergétique claire, bien plus ambitieuse et fondée sur les meilleures technologies solaires, éoliennes et nucléaires. C’est essentiel pour assurer la prospérité économique. On retrouve, me semble-t-il, une telle ambition dans l’accord de gouvernement. Mais on attendra les actes pour juger. À défaut d’une telle politique, le piège de la décroissance se refermera, et il ne restera qu’à accepter de “Unplug, baby, unplug“…

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content