Philippe Ledent
Un retour durable de l’inflation?
Celle-ci reviendra-t-elle à son niveau très faible ou faut-il se réhabituer à vivre avec une inflation oscillant entre 2% et 3%?
Alors que l’inflation est en baisse un peu partout, beaucoup de questions demeurent. La première est de savoir si, comme dans les années 1970, une deuxième vague d’inflation nous attend. Peut-être avez-vous déjà vu sur les réseaux sociaux ces graphiques mettant en parallèle le profil de l’inflation dans les années 1970 et celle initiée depuis 2021. La ressemblance est saisissante.
Attention cependant: les conditions sont différentes, et les chocs le seront probablement aussi. Dans les années 1970, la deuxième vague d’inflation avait deux fondements: d’une part, un nouveau choc pétrolier ; d’autre part, une hausse systématique des salaires faisant parfois plus que compenser l’inflation. Ce qui, par l’intermédiaire de la hausse des coûts des entreprises, alimentait… l’inflation. Actuellement, on ne peut bien entendu exclure un nouveau choc sur les prix de l’énergie. Mais ce n’est pas le scénario le plus probable.
Par ailleurs, les négociations salariales ont fortement évolué depuis les années 1970, internalisant plus que par le passé les conséquences d’une spirale prix-salaire. Ceci ne vaut cependant pas vraiment en Belgique, qui conserve une indexation automatique de la plupart des revenus. Enfin, la politique monétaire a aussi évolué. Et c’est bien pour cette raison que les principales banques centrales viennent de procéder à une des séquences les plus rapides de hausses de taux de leur histoire récente. Dès lors, a priori, il n’y a pas de raison que l’inflation continue de suivre le profil des années 1970.
Il est fort probable que l’inflation ait retrouvé durablement sa place sur la scène économique.
Une deuxième question est de savoir si, après une décennie d’inflation très faible suivie d’une hausse inédite, celle-ci reviendra à son niveau très faible ou s’il faut se réhabituer à vivre avec une inflation oscillant entre 2% et 3% et connaissant épisodiquement des poussées de fièvre? Rappelons-nous d’abord qu’avant 2020, on parlait souvent de japonisation des économies européennes. L’idée était qu’avec le vieillissement de la population, l’Europe suivrait les traces économiques du Japon (qui, en matière de vieillissement, a 20 ans d’avance…), incluant une tendance à la déflation et des taux d’intérêt irrémédiablement bas.
Mais encore une fois, il n’y a pas de fatalité. Certes, différentes études académiques démontrent que le vieillissement de la population poussera l’inflation, la croissance économique et les taux d’intérêt réels vers le bas. Mais que dire de la déglobalisation, dont les tensions entre les Etats-Unis et la Chine ou la guerre en Ukraine sont d’importants accélérateurs? Puisqu’il a été démontré que la mondialisation a été déflationniste (les coûts de production étant poussés à la baisse), le rapatriement de certaines productions vers des pays “amis” ou encore la multiplication des fournisseurs pour éviter les pénuries devraient être inflationnistes.
Et c’est d’autant plus vrai que le rapatriement de production dans des pays européens butera contre les pénuries de main-d’œuvre liées au vieillissement de la population. Ceci pourrait entraîner une pression à la hausse sur les salaires, salvatrice peut-être pour les travailleurs, mais potentielle génératrice d’inflation.
Et que dire du défi que représente la lutte contre les changements climatiques et en particulier la transition énergétique? Que ce soit au travers d’une taxe carbone ou au travers de la masse d’investissements privés et publics à réaliser dans le futur, elle aura un coût pour les consommateurs. Dans un premier temps, au moins, la transition sera inflationniste. Bref, malgré le vieillissement, il est fort probable que l’inflation, souvent modérée, parfois excessive, ait retrouvé durablement sa place sur la scène économique.
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