Paul Vacca
Un bain moussant, prochaine star d’Hollywood ?
Hollywood a toujours été confronté au problème inhérent à toute industrie de prototypes. Comment produire un film, par essence objet unique, tout en minimisant les risques ? Pour cela, Hollywood a toujours eu recours à la technique du “déjà-vu”. Les stars, à la grande époque, jouèrent ce rôle en fédérant à elles seules le public dans les salles obscures. Tout comme les westerns, les comédies romantiques, les films noirs ou d’horreur… qui installent d’emblée le spectateur dans une certaine familiarité.
Les adaptations de romans, de bandes dessinées, de séries TV, de jeux vidéo, de personnages célèbres et jusqu’aux faits réels (le fameux “d’après une histoire vraie”) remplissent, eux aussi, cette fonction de “déjà-vu”. Et, bien évidemment le recyclage des suites dont Hollywood semble avoir abusé ces derniers temps avec le big bang des films de super-héros…
Pas étonnant qu’au cinéma aussi on parle de “franchises” : comme pour celles de la restauration, elles visent à nous renseigner sur ce que l’on va nous servir. Or depuis quelque temps le cinéma nous propose une autre forme de “déjà-vu” : les films sur les produits de notre quotidien. On connaissait des produits dérivés des films (les figurines de Star Wars, par exemple), désormais on assiste à l’émergence de films dérivés de produits.
La star d’un film, que ce soit un humain ou un produit, ça reste sacré.
Ce n’est pas un phénomène totalement nouveau. Dès 1968, Disney sortait Un amour de Coccinelle dont l’héroïne du film était la Coccinelle de Volkswagen, comme plus récemment, on a eu des films à partir de Lego ou des Transformers de Hasbro. Toutefois ce qui n’était qu’exception semble se transformer en tendance lourde. Le succès de Barbie n’est certainement pas pour rien dans la déferlante à venir : Mattel a mis en chantier 14 projets d’adaptations de ses licences. Margot Robbie envisage de produire un film sur le Monopoly. Récemment, on a eu Tetris autour du jeu vidéo puzzle, Nike de Ben Affleck qui raconte le deal avec Michael Jordan en 1984 pour représenter les Nike Air, un film sur le BlackBerry… Mais il semble que l’on entre dans une autre dimension encore avec Unfrosted, proposé par Netflix, où il est question des Pop Tarts, ces biscuits pour le petit-déjeuner de Kellogg’s très célèbre aux Etats-Unis. Faut-il alors se préparer à voir un film sur un soda ou un bain moussant ?
L’intérêt commercial de ces films est évident : proposer un déjà-vu puissant avec, qui plus est, une campagne de merchandising déjà en place. Mais au-delà de ça, comme le note Tom Faber, qui analyse ce phénomène pour le Financial Times, chaque produit-star porte en soi une dynamique narrative familière au cinéma : comment de produit quelconque il est devenu produit mythique. Car les produits-stars ne sont-ils pas déjà des héros de notre quotidien ayant réussi à capter nos identités, nos désirs et nos aspirations ? Passer de simple objet au statut de symbole, c’est précisément le parcours qu’élabore un être de chair et de sang dans un film : celui qui le fait accéder de simple personnage à celui de héros.
Un bon filon donc, mais dont les risques sont évidents : tomber dans le long spot publicitaire qui ferait fuir le public. Toute l’intelligence de Greta Gerwig avec Barbie a été de jouer d’une certaine distance ironique par rapport à son héroïne et surtout à Mattel. L’autodérision est un ingrédient indispensable à la recette d’un film-produit. Mais que l’on ne s’attende pas à de l’irrévérence non plus : le film Nike de Ben Affleck, par exemple, se garde bien de faire allusion au travail des enfants en Thaïlande dans les sweatshops. Parce que la star d’un film, que ce soit un humain ou un produit, ça reste sacré.
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