Bruno Colmant
Trump réélu : faut-il investir dans l’or ?
Sauf une vicissitude de l’histoire, Donald Trump se dirige vers une seconde présidence, et le mois de novembre serait déterminant pour ce que certains qualifient déjà de dernières élections présidentielles démocratiques américaines. Ainsi va le monde avec ses tristes et tumultueuses passions.
Donald Trump étant l’archétype du capitalisme dominant et prédateur, on pourrait imaginer que les CEO des entreprises mondiales s’en réjouissent, au motif du grand « reset » que certains promeuvent. Il n’en est pourtant rien. Les principaux acteurs de Davos s’en inquiètent à juste titre, car cela pourrait signifier un bouleversement du monde occidental, en particulier de son centre anglo-américain, vers des territoires inconnus. Ce serait un risque systémique, c’est-à-dire auquel on n’échappe pas (ou très difficilement), par rapport à la vision contemporaine (et de ses successions de déséquilibres en recherche permanente de bases stabilisées) de la planète. Cette présidence sera peut-être moins chaotique, mais plus résolue que la précédente. Les Européens comprendront enfin que les États-Unis sont un pays en perpétuelle ébullition, où seuls une recherche individuelle incessante de prospérité et de grands bouleversements collectifs militaires peuvent temporairement apaiser les tensions.
La présidence de Donald Trump sera isolationniste dans tous les domaines, y compris la migration, le commerce international, l’énergie et l’environnement. Cependant, c’est l’aspect financier qui sera particulièrement intéressant, voire essentiel, car le dollar est la monnaie de réserve qui confère sa propre liquidité au monde entier.
Donald Trump mettra en place une politique budgétaire et fiscale contradictoire : il ne s’agirait pas de réduire le déficit budgétaire, mais au contraire de l’accentuer et de le financer par une politique monétaire expansionniste combinée à un maintien extrêmement bas des taux d’intérêt domestiques, car la Federal Reserve perdra son indépendance. Bien sûr, cette contradiction entraînerait sans doute une augmentation des taux d’intérêt exigés sur la dette américaine par le reste du monde (notamment pour des questions de risque souverain), mais cela n’aurait, aux yeux de Donald Trump, aucune importance. Cela conduira aussi à de l’inflation, elle-même liée aux barrières tarifaires qui vont se dresser partout, mais Donald Trump ne la contrariera pas, car il mettra l’accent sur un isolationnisme qui dissocie la valeur extérieure du dollar de son pouvoir d’achat domestique, comme le Président américain Richard Nixon (1913-1994) l’avait préconisé en 1971.
Donald Trump souhaite un dollar extrêmement faible grâce à des taux d’intérêt artificiellement réduits, stimulant ainsi les exportations américaines tout en pénalisant les importations américaines, qui seraient également soumises à des taxes à l’importation contre lesquelles l’OMC serait probablement impuissante. Comme les États-Unis émettent leur propre monnaie et leur dette publique, cela pourrait éventuellement conduire à un défaut de paiement de la dette américaine, ce qui ramène à la question du risque souverain. Est-ce impossible ? Je n’en suis absolument pas convaincu. Il faut se rappeler les mémorables et prophétiques paroles du Secrétaire d’État au Trésor de Richard Nixon, John Connally (1917-1993) : « Le dollar est notre devise, et votre problème. »
Cela devient d’autant plus plausible que l’instabilité institutionnelle pourrait compromettre la crédibilité du dollar, qui pourrait se déprécier si Donald Trump renonce à l’impérialisme militaire qui est l’un des piliers de la prééminence du dollar. D’aucuns rétorqueront que si les États-Unis constatent une perte de crédibilité sur le dollar et leur dette publique, cela contaminerait l’ensemble des monnaies et des dettes publiques de la planète. C’est vrai, à périmètre géopolitique inchangé. Mais justement : tout peut changer.
Bien sûr, certains pourraient répliquer que l’indice Dow Jones a plus que doublé sous la présidence de Donald Trump et que le dollar est resté stable. C’est vrai, et les marchés financiers pourraient, dans un premier temps, accueillir cette nouvelle présidence de manière cyniquement favorable. Mais ensuite ?
C’est pourquoi, à un niveau patrimonial individuel, à part l’or (et je ne mentionne pas les cryptomonnaies en raison de leur difficulté à évaluer leur valeur), il n’y a pas beaucoup de moyens pour se protéger du risque associé au 5 novembre si mon intuition de rupture monétaire du rôle du dollar et de la dette publique américaine se confirme. L’or est la seule monnaie sans risque de crédit. Il a fait ses preuves dans l’histoire monétaire américaine, lors des deux grandes dévaluations du dollar en 1933 et en 1971. En tout état de cause, les banques centrales qui accumulent de l’or, malgré sa qualification de relique barbare par l’économiste John Maynard Keynes (1883-1946), lui accordent un statut d’actif référentiel.
À cet égard, voici ce que Richard Nixon annonça à la télévision le 15 août 1971 lors du sabordage des accords monétaires d’après-guerre qui étaient devenus insupportables aux Américains. Il s’agit d’une allocution dont on tirera furieusement des comparaisons avec les incantations de Donald Trump : « J’ai demandé au secrétaire Connally de suspendre temporairement la convertibilité du dollar américain, sauf pour les montants et les conditions déterminés dans l’intérêt de la stabilité monétaire et dans l’intérêt supérieur des États-Unis. Qu’est-ce que cette action – qui est très technique – signifie pour vous ? Permettez-moi d’en finir avec le problème de ce que l’on appelle la dévaluation. Si vous voulez acheter une voiture étrangère ou faire un voyage à l’étranger, les conditions du marché peuvent faire en sorte que votre dollar s’achète un peu moins cher. Mais si vous faites partie de l’écrasante majorité des Américains qui achètent des produits fabriqués en Amérique, votre dollar vaudra autant demain qu’aujourd’hui. Je prends une mesure supplémentaire pour protéger le dollar, améliorer notre balance des paiements et créer des emplois pour les Américains. À titre de mesure temporaire, j’impose aujourd’hui une taxe supplémentaire de 10 % sur les marchandises importées aux États-Unis. Grâce à ces mesures, le produit du travail américain sera plus compétitif et l’avantage déloyal dont jouissent certains de nos concurrents étrangers sera supprimé. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles notre balance commerciale s’est érodée au cours des 15 dernières années ».
Entre 1971 et 1979, le cours de l’or (exprimé en francs belges) fut multiplié par 15.
Bien sûr, cette décision américaine s’imposa dans un contexte très différent, caractérisé par un ancrage des devises à l’or. Et puis, l’histoire ne se répète pas. Mais elle est beaucoup plus rusée que les hommes.
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