Eddy Caekelberghs

Trump, l’Otan et le bal des illusions

Eddy Caekelberghs Journaliste à La Première (RTBF)

On croyait avoir tout vu jusqu’ici, mais c’était une illusion néfaste : le président américain, sur sa plateforme favorite, exige à présent que l’Europe coupe le robinet du pétrole russe, sous peine de se priver de toute nouvelle vague de sanctions de Washington à l’égard de Moscou. À cette injonction quasi-pontificale, à cette menace à peine voilée, il ajoute une pincée de menace chinoise : l’Otan, conclave improbable de blazers dépareillés, devrait aussi taxer collectivement Pékin.

Trump refuse de soutenir ses “alliés”, mais exige par contre de ceux-ci une loyauté sans faille. Comme si nous devions payer pour les deux guerres mondiales. Les stratèges polonais, eux, se marrent. Trump propose, menace, et finalement ne convainc personne. Qui imagine sérieusement que Berlin, Paris ou Rome plieront l’échine pour complaire à l’ego du promoteur mal luné ? L’Europe se la joue front uni contre Moscou, mais pendant ce temps, on s’empresse d’encaisser du gaz russe à moindre frais. La rhétorique guerrière masque mal la dépendance consentie : aux grandes menaces, correspondent des sanctions molles et des achats quotidiens.

“Montrez l’exemple, tout le monde derrière moi”, tonne Trump ; mais son discours sonne creux. On est loin du fameux “La Fayette, nous voilà !” de 1917-1918. Même avec un embargo total, il serait tout à fait capable de changer d’avis à la première bourrasque. D’une main, il brandit la menace, et de l’autre, il caresse Poutine avec une souplesse qui ferait pâlir un danseur du Bolchoï. Les centristes européens attendent “la prochaine lettre de Trump” comme on surveille le courrier d’un oncle farfelu : la politique devient une loterie, suspendue aux humeurs d’outre-Atlantique.

Les centristes européens attendent “la prochaine lettre de Trump” comme on surveille le courrier d’un oncle farfelu.

L’UE refuse de s’embarquer dans une guerre économique tous azimuts : sacrifier ses usines pour sauver le visage de Washington ? Très peu pour elle. Chacun parie sur les atermoiements de l’autre, tout en vantant le renforcement des défenses et la belle unité – le théâtre des ambitions supplante celui des convictions. Un fameux théâtre d’ombres… chinoises. Pendant ce temps, la Russie intensifie ses frappes : drones sur la Pologne, aux frontières roumaines, manœuvres provocatrices aux limites baltes, revendications arrogantes – et aucun cessez-le-feu à l’horizon.

L’Otan vacille, minée de l’intérieur par la défiance américaine : son principal actionnaire rechigne désormais à garantir la défense collective, bafouant l’esprit même de l’alliance et piétinant allègrement l’article 5. “La Fayette, nous partons !” L’arme “atomique” de l’organisation, c’est l’article 5 qui promeut la défense réciproque. Mais à l’heure des tweets rageurs, on ne sait plus si le président sonnera le tocsin ou préférera l’esquive, oscillant entre la comédie et la tragédie, l’absurde et le grotesque, le tout sur fond de diplomatie de pacotille.

L’Europe, elle, dénonce la brutalité russe tout en finançant le Kremlin par sa consommation quotidienne. Une schizophrénie assumée : la guerre n’a d’intérêt que dans les discours solennels – et non dans la colonne “importations” des bilans commerciaux. Trump, finalement, a repéré le paradoxe. Mais aurait-il le courage d’affronter ses propres contradictions ?

L’empire du Milieu, lui, observe et engrange. L’alliance occidentale, grandiloquente, se limite à des sanctions cosmétiques. Et Moscou profite tranquillement de ce théâtre d’ombres, où chaque protagoniste joue contre son camp tout en affirmant la grandeur des valeurs démocratiques. Rideau. L’illusion dure : bienvenue dans le nouveau vaudeville transatlantique.

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