Bruno Colmant

Trump et la tentation d’un dollar faible : enseignement des années 1980

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

Depuis plusieurs trimestres, je suis particulièrement préoccupé par le dollar américain, qui est utilisé dans 60 % des échanges internationaux, le rendant ainsi essentiel à l’économie mondiale. Cette prépondérance fait du dollar un risque systémique difficilement diversifiable, ce qui constitue un problème majeur.

La dette publique des États-Unis connaît une croissance vertigineuse, et son coût, c’est-à-dire les taux d’intérêt, devrait rester élevé en raison des nombreuses mesures annoncées par Trump. Cette dette représente également un risque systémique, rendu soutenable uniquement grâce à ce que de Gaulle qualifiait de « privilège exorbitant » : la capacité des États-Unis à s’endetter indéfiniment dans leur propre monnaie.

De plus, il est rapporté que Trump envisage d’imposer des droits de douane de 100 % aux pays qui refuseraient le dollar, et que la détention de dette publique américaine pourrait devenir une condition pour bénéficier du soutien des États-Unis au sein de l’OTAN. Ces mesures potentielles ne feraient qu’aggraver les risques systémiques.

Par ailleurs, Trump souhaite un affaiblissement du dollar, alors que diverses anticipations actuelles tendent à le renforcer, ce qui pénalise les exportations américaines. Il est crucial de comprendre qu’une monnaie aspirant à être la référence mondiale doit être suffisamment abondante pour rester faible.

Il est également notable que le secrétaire américain au Trésor évoque un réalignement monétaire en référence à Bretton Woods (le système de parités fixes en vigueur de 1944 à 1971, qui faisait du dollar l’étalon monétaire), avec l’intention manifeste de déprécier le dollar. Cela rappelle les accords du Plaza de 1985, qui visaient à orchestrer une dépréciation coordonnée du dollar américain.

Les accords du Plaza, signés le 22 septembre 1985 à l’hôtel Plaza de New York, ont marqué un tournant majeur dans la politique monétaire internationale. Les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des cinq principales économies de l’époque — États-Unis, Japon, Allemagne de l’Ouest, France et Royaume-Uni — se sont accordés pour intervenir conjointement sur les marchés des changes afin de déprécier le dollar américain, dont la valeur avait considérablement augmenté au début des années 1980.

Cette appréciation du dollar, d’environ 50 % entre 1980 et 1985, avait entraîné des déséquilibres commerciaux significatifs, notamment un déficit croissant de la balance commerciale américaine et des pressions sur les industries exportatrices des autres pays. L’objectif principal des accords du Plaza était donc de corriger ces déséquilibres en réduisant la valeur du dollar par rapport aux principales devises, telles que le yen japonais et le Deutsche Mark allemand.

Les effets des accords furent rapides et significatifs. En moins de deux ans, le dollar perdit environ 50 % de sa valeur par rapport au yen et au Deutsche Mark, facilitant ainsi les exportations américaines et contribuant à la réduction du déficit commercial des États-Unis. Cependant, cette dépréciation eut également des conséquences inattendues, notamment la création de bulles spéculatives sur les marchés financiers japonais, qui éclatèrent à la fin des années 1980, entraînant une période prolongée de stagnation économique au Japon.

Depuis longtemps, je m’attends à des chocs majeurs liés au dollar et à la dette américaine. Je crains également que l’euro ne devienne de plus en plus vulnérable, surtout lorsque la gestion de notre monnaie commune est remise en question par des partis souverainistes tels que l’AfD en Allemagne. Une faiblesse endogène de l’euro renforcerait le dollar, alors que c’est contraire aux objectifs de Trump. Je ne sais pas d’où les contradictions émergeront, mais elles surviendront.

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