Je n’aime pas Donald Trump, et encore moins ses idées, qui visent à imposer un régime autocratique, militarisé et probablement héréditaire (qui peut croire une minute que J.D. Vance lui succéder ?), où la force martiale, couplée à un technoféodalisme supporté par les césars de la technologie, conduit à l’abandon d’une certaine idée de la démocratie et à la destruction des pouvoirs et contre-pouvoirs dont les États-Unis sont l’exemple, à l’instar de nombreux pays d’obédience originellement protestante.
J’abhorre cette juxtaposition des courants évangélisateurs avec la négation des minorités, ainsi que la restriction progressive du droit des femmes, dans une oppression machiste qui est contraire au combat que tant de sociétés ont dû mener contre l’oppression religieuse, dès l’émergence des Lumières, que des Américains veulent éteindre sous le vocable de dark enlightenment. Et puis, il y a les expulsions, l’agrandissement de Guantamo Bay et la création d’une prison surnommée “l’Alcatraz aux alligators” en Floride pour détenir et puis déporter des citoyens illégaux. Et cela, c’est sans compter le renoncement aux contraintes écologiques dans un nihilisme entretenu par les titans technologiques qui considèrent que la planète est perdue et qu’il faut passer à autre chose. Pour ces raisons, je consacre un livre : « Donald Trump : le spectre d’un fascisme digital », qui sera en librairie dans une semaine.
Mais sous l’angle économique, et pour les Américains, c’est autre chose, et nombre de mes amis américains de longue date, plutôt démocrates, l’admettent à reculons : Donald Trump réussit son pari économique.
En moins de 6 mois, Donald Trump a réussi à imposer des droits de douane unilatéraux à de nombreux pays, à l’exception de la Chine où les choses se négocient comme il se doit entre deux puissances dominantes interdépendantes.
Prenons le cas de l’Europe : c’est pitoyable. Les droits de douane américains ont été fixés à 15 %, alors que les nôtres sont quasiment nuls, illustrant la fragilité de l’Union européenne comme entité politique devant la puissance américaine, à tel point que cette capitulation en rase campagne a définitivement discrédité la Commission européenne. Mais nous ne sommes pas les seuls : le Mexique et le Canada se sont directement alignés sur les États-Unis en renonçant à leurs mesures de rétorsion, tandis que les derniers pays récalcitrants finiront, eux aussi, par se soumettre. Les Brics+ ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, et leur idée d’une monnaie partagée est probablement moribonde.
Bien sûr, tout cela crée de l’inflation aux États-Unis, faible d’ailleurs à ce stade, mais aussi beaucoup de recettes fiscales qui vont tempérer l’accroissement de la dette publique, selon des organismes américains sérieux. Certains secteurs sont fortement touchés, mais Donald Trump n’est pas engagé dans une guerre de positions : il est mobile, et il ajustera ses tirs comme une batterie d’artillerie en fonction des paramètres liés à une approche d’essais et d’erreurs. L’objectif est, en effet, d’aboutir à une situation parfaite pour l’économie américaine et d’en minimiser les inconvénients et les frictions. Et cela, c’est sans compter les engagements d’achat multiples pris par des pays pour acquérir du matériel militaire ou des produits énergétiques américains, tout en investissant des milliers de milliards de dollars aux États-Unis.
Et puis, il y a cette réforme fiscale gigantesque qui, quoiqu’on en pense et malgré ses critiques sévères, révèle une certaine ambition politique audacieuse. Certes destinée à enrichir les nantis et à rendre vulnérables les faibles dans une logique eugéniste, et même si on ne l’aime pas et qu’elle se couple à une baisse massive de protection sociale, elle n’en demeure pas moins l’expression manifeste d’un choix politique fort et délibéré.
Mais ce n’est pas tout : les États-Unis viennent de permettre l’émission de stablecoins, ce qui constitue un moyen direct de financer la dette américaine par une émission monétaire, certes particulière, mais efficace, alors que la BCE patine — et le mot est faible — avec son idée d’euro numérique qu’un de nos anciens ministres des Finances qualifie de solution à l’absence de problème.
Et puis, Donald Trump voulait un dollar faible pour stimuler les exportations, et c’est réussi : le dollar a perdu quasiment 10 % dans ses parités de change, ce qui est d’une ampleur que l’on n’avait plus vue depuis le chaos des années soixante-dix. Et bien sûr, il politisera la banque centrale américaine (la Federal Reserve) au détriment du dollar, et même de sa crédibilité, mais cela ne choquera personne tant le dollar a toujours constitué une arme destinée à aspirer la richesse du reste du monde vers la consommation américaine.
Alors, voilà, on peut en penser ce qu’on veut, mais sous l’angle économique et à ce stade, Donald Trump réussit son pari. Il l’avait dit : Make America Great Again. Cela, je le répète, n’en valide aucunement les orientations globales, et surtout morales.
Mais tout d’un coup, nous prenons un coup de vieux comme des vieillards grognons tremblotants, en référence au Muppet Show.