Paul Vacca
Tous les sons du monde
Alors que bruissent les fracas de la guerre, que le bruit informationnel ambiant nous abrutit toujours plus, que le brouhaha de nos scrollings quotidiens nous submerge, ne serait-il pas temps, à l’approche des fêtes, d’ouvrir nos oreilles aux autres sons qui composent notre monde ? Voilà précisément ce que nous propose Une histoire naturelle des sons : Notes sur l’audible de Caspar Henderson, publié par les éditions Les Belles Lettres. Écrivain et journaliste anglais, collaborateur au Financial Times, à The Independent et au New Scientist, Henderson nous emmène dans un monde qui, pour beaucoup d’entre nous, revêt des allures de terra incognita : celui qui s’ouvre entre nos deux oreilles. Car l’ouïe est l’un de nos sens le plus négligé, trop souvent éclipsé par le pouvoir que prend la vue dans la gestion de l’espace dans notre vie quotidienne.
Henderson raconte dans son introduction que ce livre est né d’un émerveillement. Celui qu’il a ressenti, alors qu’il visitait une réserve naturelle sur la côte du Norfolk. Il y a vu l’envol de bécasseaux maubèches, de petits oiseaux trapus qui, l’hiver venu, migrent en grand nombre en Grande-Bretagne depuis leurs terres natales en Arctique. Un spectacle fascinant où les volatiles se rassemblaient à une telle vitesse qu’ils avaient l’air d’apparaître et de disparaître grâce au jeu de lumières sur les flancs lumineux ou sombres de leur corps. Mais, ce qu’il l’a surtout frappé, c’est le bruit. Un bruit assourdissant mais perceptiblement composé de myriades de petites gouttelettes sonores : le battement de chacune des paires d’ailes dans une symphonie éblouissante.
Caspar Henderson nous emmène dans un monde qui, pour beaucoup d’entre nous, revêt des allures de terra incognita: celui qui s’ouvre entre nos deux oreilles.
Il viendra alors à Henderson l’envie de forger un terme de son cru pour qualifier cette expérience singulière vécue avec les bécasseaux maubèches : en partant du qualificatif miraculeux il invente celui d’”auriculeux” pour traduire un émerveillement par l’oreille. Une histoire naturelle des sons se compose ainsi de 78 chapitres – que l’on peut lire dans l’ordre que l’on souhaite – comme autant de fenêtres sur un monde auriculeux. On y découvre plus exactement quatre mondes d’une infinie diversité : la “cosmophonie”, à savoir les sons du cosmos, ceux qui composent le prétendu silence spatial comme la résonance ou la musique des sphères nous permettant de mieux comprendre certains phénomènes de l’Univers ; puis, la “géophonie” qui concerne les sons produits par la Terre comme ceux des volcans, des tonnerres ou des aurores boréales et qui rendent possible la vie telle que nous la connaissons ; puis encore la “biophonie”, les sons du monde vivant, celui varié qui nous entoure, celui des arbres mais aussi de l’abeille, de la grenouille, de la baleine ou du rossignol. Et, enfin, “l’anthropophonie”, les sons de l’humanité, du silence aux onomatopées en passant par l’harmonie, les haikus du poète japonais Bashō, la pollution sonore, le son des cloches ou les bruits du changement climatique.
Caspar Henderson nous propose une immersion sonore dépaysante (mais aussi terrifiante parfois, notamment lorsqu’il évoque le vacarme technologique des humains), élégamment traduit par Lucien d’Azay. Il est un guide à l’oreille absolue à la fois philosophe, érudit et joyeux. Une fois le livre refermé, les sons qu’il nous a révélés résonnent encore en nous avec une envie de tendre l’oreille plus attentivement à tout ce qui entoure : l’espace, les plantes, les animaux, la musique et les humains. Vous n’écouterez plus jamais de la même façon. Et ouvrir ses oreilles au monde avec Caspar Henderson, c’est indéniablement une de voies pour mieux en saisir la richesse et mieux le comprendre.
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