Philippe Ledent
On votait il y a 150 jours… The clock is ticking
Vous vous souvenez probablement de cette phrase prononcée par Michel Barnier, alors négociateur en chef de la Commission européenne pour le Brexit, avertissant ses homologues britanniques de la nécessité d’aboutir dans ce dossier. Probablement doit-il lui-même s’en souvenir lorsqu’il pense au budget de la France. Mais pour la Belgique aussi, the clock is ticking… Voilà en effet 150 jours environ que nous allions voter. Au lendemain des élections, le message de l’électeur semblait clair, ce qui devait rendre les négociations plus courtes. Certes, des gouvernements régionaux ont été mis en place dans un délai raisonnable en Flandre et en Wallonie. Mais au niveau fédéral, la sérénité des premières semaines laisse petit à petit la place au schéma traditionnel semé d’embûches, de fuites, de phrases assassines et… d’impasses.
De fait, la formation d’un gouvernement fédéral est devenue un exercice de plus en plus difficile : les logiques de communication prennent trop souvent le dessus sur l’analyse socio-économique, les réactions sur les réseaux sociaux guident davantage les négociateurs que les chiffres des sherpas. Par ailleurs, ne pas avoir beaucoup de coalitions possibles (si l’on exclut les partis extrémistes qui prennent de l’importance au fil du temps) est un cadeau empoisonné. D’un côté, cela force les partis candidats à une coalition à s’entendre. Mais d’un autre côté, cela donne beaucoup de poids à chaque partenaire, même le moins représenté au parlement, puisque sa présence est indispensable. L’évolution de la politique, et de la société en général, mais tout simplement aussi l’arithmétique parlementaire, font que l’on ne doit pas vraiment être surpris de cette situation.
Il est temps que la rationalité économique prenne le dessus sur les jeux politiques et sur les stratégies de communication.
Néanmoins, avons-nous le luxe d’assister une nouvelle fois au feuilleton interminable des négociations ? Sur le plan économique, on ne peut pas dire que la situation belge soit brillante. Dans l’indifférence générale, l’Institut des comptes nationaux a révisé en profondeur les chiffres du PIB de la Belgique. Au-delà des évolutions méthodologiques, les dernières données publiées montrent que l’économie belge a nettement ralenti l’année dernière, alors que jusqu’ici, on pensait qu’elle avait mieux résisté que la moyenne de la zone euro. Et que dire de la situation de l’industrie, dont la valeur ajoutée était, mi-2024, en recul de 3% par rapport à son niveau de fin 2022 ? Plus largement, elle stagne depuis plus de 15 ans.
Sur le plan des finances publiques, on ne pourra pas nier que les 150 derniers jours ont été riches en avertissements : fin juin, la Commission européenne a placé la Belgique en procédure pour déficit excessif. Pour seule réponse, elle peut au mieux attendre une réaction budgétaire pour la fin de cette année (alors que le délai initial était fixé… au 20 novembre). Récemment, c’est l’agence de notation Moody’s qui a abaissé la perspective de la note souveraine belge de stable à négative (c’était déjà le cas pour l’agence Fitch).
En conclusion, il n’y a pas si longtemps que cela, il se disait, non sans un brin d’ironie, que l’extrême longueur des négociations gouvernementales n’était pas un problème, car pendant ce temps, aucune nouvelle initiative ne venait détériorer les finances publiques. Mais ce temps est révolu : le vieillissement de la population et les politiques mises en œuvre ces dernières années entraînent une augmentation structurelle des dépenses publiques, même sans nouvelle initiative. En d’autres termes, à politique inchangée, la trajectoire des finances publiques est intenable. Il est donc temps que la rationalité économique prenne le dessus sur les jeux politiques et sur les stratégies de communication. Il faut aboutir… point !
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