Bruno Colmant

Taxation des plus-values: le coup de grâce fiscal pour les actionnaires des PME

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

La taxation des plus-values, qui sera mise en œuvre en 2026, sera un cauchemar, surtout pour les entreprises non cotées, c’est-à-dire essentiellement les PME. En effet, pour taxer une plus-value, il faut un prix de vente, mais surtout une estimation de la valeur de départ. Or, contrairement à un titre coté en bourse, cette valeur de départ n’existe pas pour une PME (ou, à tout le moins, n’est pas irréfutable), et il est évident que la valeur comptable n’a aucune pertinence, puisqu’elle n’intègre aucunement les perspectives de résultats, les actifs immatériels (goodwill, valeur de la marque, réputation), ni même une réévaluation de certains actifs.

Donc, l’administration des finances se lance dans un exercice qui relève de l’alchimie. Cette taxe va noyer les PME dans un océan de valorisations et de paperasse. Et là, on n’espérait rien, mais on sera quand même déçu. En effet, sur la base de documents préliminaires, plusieurs méthodes sont envisagées pour déterminer cette valeur de départ, en supposant que ces dernières apportent la moindre pertinence pour une valorisation au 31 décembre 2025.

Il s’agit, par exemple, de la valeur d’une cession de titres à un tiers indépendant. Je prends un exemple : je possède 100 % des actions d’une PME. Si j’en cède un certain pourcentage à un tiers indépendant (pour éviter toute collusion, sans savoir qui va déterminer l’indépendance du tiers), alors cette valeur pourrait servir de valeur de départ. Mais c’est évidemment insensé : en effet, je devrais me séparer d’une partie de ma propriété au profit d’un tiers (que je devrais vouloir voir associé à mon projet) qui devrait évidemment acquérir un pourcentage de titres suffisant pour établir quelque robustesse à cette transaction. Or, il est évident que la valeur de cession de 0,01 % ou de 10 % de mes titres n’a pas la même valeur, puisqu’interviennent des notions de primes de contrôle, de dilution d’actionnariat, etc. On pourrait alors imaginer que je m’engage à racheter à ce tiers indépendant les titres qu’il a acquis, mais cela serait évidemment assimilé à une manœuvre destinée à manipuler la valeur de l’entreprise. Le potentiel d’abus est stupéfiant et les valorisations deviendront un jeu de miroirs déformants.

Une autre méthode consiste à prendre un multiple de l’EBITDA, c’est-à-dire le bénéfice (s’il y en a) avant paiement des intérêts, impôts et amortissements. Et l’idée est de prendre un multiple de 4. Pourquoi ? Mystère et boule de gomme, si ce n’est ce qu’un des rédacteurs de la note a entendu d’un de ses copains qui débute dans un « big four », en oubliant que les ratios sectoriels, souvent tirés de grandes entreprises, sont inadaptés aux réalités opérationnelles des petites entités. Des multiples arbitraires sont donc une recette pour le désastre. Un tel chiffre est variable et fluctuant selon des multitudes de paramètres, à commencer par le secteur d’activité. Sans compter sur le fait que l’absence de prise en compte des actifs immatériels, comme la clientèle ou le savoir-faire, pollue systématiquement la valeur des PME innovantes. De surcroît, la volatilité des flux de trésorerie, typique des petites structures, rend illusoire une valorisation stable pour une taxation équitable. Et puis comment intégrer l’inflation et les investissements ultérieurs ? Et les aides publiques, s’il y en a ?

Mais il y a pire — et cela démontre l’ignorance ou l’amateurisme de l’administration — : il convient de prendre l’EBITDA de l’année 2025. Or, toute personne qui a de très vagues connaissances en finance sait que la valorisation d’une entreprise s’effectue de manière prospective. Ce ne sont pas les résultats de l’année 2025 qui comptent, mais les perspectives de croissance ou de décroissance. Au reste, la valorisation basée sur les bénéfices historiques ignore les fluctuations saisonnières propres aux PME, faussant ainsi la base imposable. Ainsi, si l’exercice 2025 se termine par un bénéfice exceptionnel, il n’est pas une base de valorisation stable, même s’il est avantageux pour déterminer une valeur haute de l’entreprise dans l’hypothèse d’une cession ultérieure de titres.

Et enfin, il y a l’évaluation par un réviseur d’entreprise ou un expert-comptable. Mais là aussi, il y aura autant d’évaluations que d’experts, et cela pourrait conduire à la recherche de l’expert mieux-disant, chargé de surestimer la valeur de l’entreprise.

Mais, quelles que soient les méthodes, il y a tant d’autres problèmes à régler. Par exemple, dans une entreprise codétenue par plusieurs actionnaires, la valeur de la participation dépend du pourcentage de participation. En termes relatifs, une participation de 1 % vaut normalement moins qu’une participation de 25 %, qui constitue une minorité de blocage, alors que dans certains cas, cette même participation de 1 % vaut une fortune pour un autre actionnaire qui détient 24 % d’une entreprise et veut acquérir cette minorité de blocage. La complexité est ahurissante — une aubaine pour les comptables, un fléau pour les entreprises.

Il faut donc déterminer la valeur des primes de contrôle et aussi des décotes de liquidité, puisqu’une PME non cotée ne voit pas ses titres librement négociés sur un marché organisé. Et de combien est cette prime d’illiquidité ? Là aussi, il faut jouer au petit chimiste, car elle s’établit de manière forfaitaire entre 15 et 25 % selon les situations et le sens du vent.

Et je fais évidemment l’impasse sur les actions de PME qui ont été démembrées entre nue-propriété et usufruit, sur les ventes à réméré, sur les pactes d’actionnaires, sur les systèmes optionnels qui déterminent des couloirs de valorisation d’entreprises, etc. De plus, la diversité des structures juridiques des PME complique l’application uniforme d’une formule de valorisation unique.

En un mot comme en cent : le cauchemar et des recours multiples face à une administration fiscale qui n’a aucune expertise dans ces domaines très spécifiques de valorisation. La complexité des ajustements nécessaires pour refléter la valeur réelle expose les PME à des risques d’erreurs administratives et de contentieux coûteux.

Alors, quand je me réfère au fait que, pour les titres cotés, l’organe de représentation des banques, FEBELFIN, confirme le caractère irréaliste d’application de cette mesure pour 2026 et que l’inspection des finances elle-même en confirme la surestimation complète des recettes budgétaires, La Belgique risque de devenir une zone interdite aux investisseurs.

Et je me dis qu’en Belgique, pays le plus taxé au monde, ajouter encore cette taxe aux PME qui constituent le terreau de notre économie est une pure folie. Mais voilà, dans ce Royaume surréaliste, pourtant convaincus d’avoir touché le fond, on creuse encore, et encore. Cette taxe pourrait être le coup de grâce pour de nombreuses PME belges.

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