Philippe Ledent

Stagflation, le cauchemar de la BCE

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Les annonces de restructurations d’entreprises, les tensions politiques dans un contexte d’une inévitable austérité ou encore les craintes liées aux futures politiques commerciales de l’administration Trump donnent une dimension de plus en plus concrète aux problèmes économiques de la zone euro. Ces derniers mois, une difficulté supplémentaire s’invite dans un tableau économique déjà peu réjouissant : l’inflation peine à se normaliser et, au contraire, on voit apparaître de nouvelles tensions liées aux prix de l’alimentation et de l’énergie. Dans un tel contexte, mener une politique monétaire va devenir un vrai casse-tête pour la BCE.

Dans un contexte de faible croissance, l’appel à une politique budgétaire expansionniste est devenu presque un réflexe. Néanmoins, les politiques menées ces dernières années ont de moins en moins d’effets, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les mesures sont souvent mal ciblées et mal calibrées. De plus, les contraintes pesant sur l’offre sont devenues dominantes. Or, les politiques menées ne cherchent qu’à stimuler la demande. Au contraire, les réformes structurelles nécessaires à améliorer la compétitivité ou renforcer la disponibilité de main-d’œuvre sur le marché du travail sont trop mises à l’écart.

La hausse des taux longs correspond à un durcissement implicite de la politique monétaire, ce qui va encore peser sur l’activité économique.

Dans la situation actuelle, l’instabilité politique et/ou les finances publiques dégradées (la Belgique cumule les deux) réduisent encore plus la marge de manœuvre de la politique budgétaire. Et la reconduction d’une Commission européenne semblant déconnectée des réalités économiques de terrain n’incite pas à penser que le salut viendrait de ce niveau de pouvoir. Dès lors, la politique monétaire sera plus que nécessaire pour soutenir, tant que faire se peut, l’activité économique.

Encore faut-il qu’elle en ait la possibilité. En effet, le mandat de la Banque centrale européenne (BCE) donne une claire priorité à la lutte contre l’inflation. Ceci ne pose généralement pas trop de problèmes, dans la mesure où une faible croissance économique est associée à de faibles pressions inflationnistes, et vice-versa. Néanmoins, la situation actuelle est particulière… Malgré la faible croissance en zone euro, le risque de rebond de l’inflation est bien présent, principalement en raison de facteurs extérieurs. Les prix des matières premières agricoles repartent à la hausse, ce qui risque de peser sur la composante “alimentation” de l’inflation, et les prix de l’énergie ont également grimpé récemment, ce qui a déjà pour effet de ralentir la normalisation de l’inflation.

Les récentes tensions sur l’inflation européenne, mais aussi les craintes de voir la banque centrale américaine baisser ses taux beaucoup moins qu’anticipé précédemment ont déjà eu pour effet de faire grimper les taux longs, en ce compris en zone euro. Pour la BCE, tout ceci va devenir de plus en plus difficile à gérer. La hausse des taux longs correspond à un durcissement implicite de la politique monétaire, ce qui va encore peser sur l’activité économique, alors que, faute d’une politique budgétaire efficace, une politique monétaire plus accommodante serait le seul (éventuel) ballon d’oxygène de l’économie en 2025. Mais que faire alors si l’inflation rebondit plus que prévu et justifierait, comme le pensent les marchés financiers, des taux plus élevés ? Cette situation, qui s’apparente à un début de stagflation, est la plus difficile qui soit à gérer pour une banque centrale. Nous n’en sommes pas encore là, mais il s’agit assurément d’un risque majeur pour cette année.

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