Philippe Ledent

C’est le calme après la tempête économique, mais l’été risque d’être chaud

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

“Le calme après la tempête” est peut-être l’expression qui convient le mieux depuis le début du mois de mai sur le plan économique, après la forte hausse des tarifs douaniers décidée par le président Trump en avril, suivie par des turbulences sur les marchés et même des doutes sur l’indépendance de la banque centrale américaine. D’aucuns pourraient être tentés de penser que les défis posés à l’économie mondiale se sont pour l’essentiel évaporés. Mais ne faudrait-il pas plutôt utiliser l’expression, trop souvent mal interprétée, de “l’œil du cyclone” pour caractériser la situation actuelle ?

En effet, les politiques commerciales du président Trump ont entraîné des niveaux d’incertitude presque sans précédent pour les entreprises ayant des partenaires commerciaux aux États-Unis. Bien que la phase de négociations ait commencé, il faut garder à l’esprit que rien n’est acquis et que les revirements, changements de cap ou déclarations incendiaires restent la norme.

Quelques jours après le Liberation Day, l’administration Trump avait entamé sa volte-face sous la pression des marchés obligataires et des changes. Ainsi, une pause de 90 jours avait été décrétée dans l’application des tarifs dits “réciproques” (sauf vis-à-vis de la Chine), afin de permettre des négociations en vue de nouveaux accords commerciaux “plus équilibrés” (concrètement, plus à l’avantage des États-Unis). Jusqu’à présent, seul un accord bilatéral avec le Royaume-Uni a été signé.

Un redressement des flux d’exportation pourrait n’être que l’expression de l’effet d’aubaine provoqué par la pause actuelle dans les tarifs.

Pour le reste du monde, d’ici le 9 juillet, un tarif de base de 10% est appliqué sur tous les produits entrant aux États-Unis, et des tarifs spécifiques sont appliqués sur les véhicules, l’acier et l’aluminium. Alors qu’une guerre commerciale se dessinait entre les États-Unis et la Chine (145% et 125% de droits de douane appliqués respectivement), une désescalade de 90 jours a également été décrétée le 12 mai dernier, ramenant les tarifs appliqués par ces deux pays à des niveaux un peu plus raisonnables. Cela évitera que les États-Unis se retrouvent avec des rayons vides pendant les négociations d’un nouvel accord commercial.

L’été risque d’être chaud

Par conséquent, l’été risque d’être chaud sur le plan du commerce international : que se passera-t-il après le 9 juillet ? Et après le 12 août ? C’est l’inconnue. Une prolongation des tarifs actuels reste le scénario le plus probable. Mais qui peut l’affirmer ?

Ce qui est de plus en plus clair, c’est que les entreprises américaines entendent utiliser ces fenêtres d’opportunités pour remplir leurs stocks de produits importés et garantir leur approvisionnement. Ainsi, les réservations de conteneurs ont explosé juste après la pause décidée par les États-Unis et la Chine, des opérateurs de porte-conteneurs signalant une augmentation de 50% dans les premiers jours suivant le 12 mai. Cela va encore plus perturber l’organisation du transport maritime mondial, déjà affectée notamment par la nécessité d’éviter la mer Rouge. Et cela pourrait avoir des conséquences jusque chez nous, puisque ce rush d’exportations de la Chine vers les États-Unis pourrait pousser les opérateurs à rediriger des capacités de transport initialement prévues pour l’Europe.

Il faudra donc rester prudent dans l’interprétation des données du commerce international dans les prochains mois. Un redressement des flux d’exportation pourrait n’être que l’expression de l’effet d’aubaine provoqué par la pause actuelle dans les tarifs. La deuxième partie d’année pourrait être beaucoup plus difficile, même si paradoxalement des accords commerciaux seront alors signés.

Et au final, on se rappellera surtout que la nouvelle politique des États-Unis ne fait que renforcer un protectionnisme rampant depuis des années. Et cela nous fera perdre de la croissance économique.

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